Ce film résulte d’une série de synchronicités et d'opportunités. La réalisatrice Meryam Joobeur semble s’en être remise à l’univers quand elle effectue un voyage en Tunisie. Revenant à la source de ses origines. Dans le Nord-tunisien, de manière erratique, elle traverse un village rural où les habitants vivent de pêche et d’agriculture. Elle est fascinée par trois frères roux aux taches de rousseur, dont le petit ressemble au gamin qu'elle avait imaginé en rêves. Elle les convainc de jouer dans son film, qui n’existe pas encore sur le papier. Elle apprend que beaucoup de jeunes ont ret Daesch. S’aperçoit qu’à la source, il est toujours question d'une mère, d'un enfantement et d’un deuil originel.
Quel est le rôle et la place des femmes et mères dans la société tunisienne, quelle est la place des enfants au sein de la famille et si tous sont soumis à une éducation et des valeurs semblables, progressistes, pourquoi certains d'entre eux éprouvent le besoin de se radicaliser au point de redre l'État islamique et d’endoctriner les autres ? Quelles sont les conséquences d'un tel choix au sein d'une famille autrefois unie ? Comment accueillir celui qui revient à la source ?
Autant de questions que se posent cette famille tunisienne mais qui, en réalité la déent : elles sont universelles. Aucune famille n’est plus désormais à l’abri.
Le film est décomposé en 3 chapitres, un arc de l'ombre à l'éveil. C’est entre songe et réalité, sommeil et conscience, que le film oscille, à travers les yeux de la mère. Laquelle a des pouvoirs télépathiques qui sont, dans le film, exacerbés. Ses visions aussi évanescentes qu'anxiogènes et des réponses plus frontales -quoique hyper-stylisées grâce à une caméra au plus proche du grain de peau et du souffle (la bouche du fils contre l’oreille de sa mère), fournissent tous les indices dont le spectateur (la mère) a besoin. Pour comprendre. L’origine du mal. Qui est cette femme aux yeux des lagons du Pacifique -Reem. Pourquoi porte-t-elle le niqab alors qu’elle est européenne. Qu'est-ce que la Syrie, le djihad. Comment survivre à ce départ quand on est un père, une mère, un frère, un ami d’enfance (ténébreux Adam Bessa, jamais tout à fait le même de film en film et toujours complètement fascinant) pris au dépourvu. Les réponses ne sont jamais explicites : à nous d’écrire les dialogues à mesure que l’intrigue progresse. Le spectateur est le premier scénariste de ce film aux confins du surnaturel et du conte. Un film hypnotique qui laisse longtemps une empreinte diffuse dans le corps.
L’important, ce sont la musique, les bruits et les images. Le film pourrait aussi bien être muet. Plans aux couleurs saturées, paysages ensorcelants à couper le souffle, la mer qui a tout l’air de l’Atlantique rebelle et brasillant, les dunes chatoyantes, le souffle du vent jusqu’à nos tympans, les embruns qui nous sautent au visage à travers l’écran, les falaises escarpées et indociles, les costumes et les fêtes qui laissent captifs et une bande-son et un bruitage qui irrigue nos veines. Un film mystérieux et unique, d’atmosphère et de sensations, un film artistique : de l’art contemporain. Nos sens étaient dans l'ombre, ils se sont éveillés, organiques.