Le vrai par le faux

Le cinéma de Claude Zidi applique le burlesque au monde du travail, consacre chacun des films qui le composent à l’esquisse d’un corps de métier qu’il s’agit de miner de l’intérieur pour mieux le tourner en dérision : du flic rebaptisé « la bavure » à ceux que l’on nomme « ripoux » en ant par l’employé travaillant pour une compagnie d’assurance spécialisée dans le tourisme international alors même qu’il n’a pas le goût du voyage (Banzaï, 1983), sans oublier les « boîtes à bac » où l’on apprend tous les moyens pour tricher aux épreuves officielles (Les Sous-doués, 1980) ainsi que les casernes que l’on déserte allégrement (Les Bidasses s’en vont en guerre, 1974), l’art du cinéaste relève de l’oxymore, soit de l’attraction des contraires dans une dépendance telle qu’elle crée une dynamique tour à tour comique et humaine, conflictuelle et sensible.

La Moutarde me monte au nez investit le microcosme du journalisme à scandales, celui des paparazzis capables de rassembler les vedettes de cinéma et les candidats aux élections municipales dans une même rubrique afin qu’ils se salissent les uns les autres. L’intelligence du long métrage réside alors dans sa problématisation des enjeux moraux : les prétendus gardiens de l’autorité morale, comprenons la figure du père également candidat conservateur, son électorat puritain dont fait partie, entre autres, le directeur de l’établissement pour filles Bernadette dans lequel exerce une caricature sur pattes du professeur dépourvu du moindre savoir-faire pédagogique, sont raccordés à l’hypocrisie de leur condition par un dérèglement général de l’ordre des choses. Le caractère maladroit de Pierre Durois occasionne des troubles, perturbe les mœurs de la même façon que la réunion diplomatique d’une part, le tournage d’un western spaghetti de médiocre facture d’autre part.

Les trouvailles burlesques font mouche tout en rendant hommage aux œuvres ayant précédemment interrogé, par le biais du rire, les relations stéréotypées entre les hommes et les femmes – on pense surtout à Bringing up Baby (Howard Hawks, 1938) avec son léopard apprivoisé qui donne du fil à retordre à l’étranger. Claude Zidi présente alors la réalité comme trompeuse, puisque sujette aux multiples déformations de la part de journaux malveillants, redéfinit la fiction comme espace de jeu et donc d’accès à une vérité issue de la concertation entre des comédiens : la bagarre dans l’eau constitue une métaphore puissante de cette confusion à l’origine d’une relation sincère, que redouble un baiser ultime des plus mémorables. Une pleine réussite.

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