Une œuvre hautement qualifiée

Nul n’ignore qu’au même titre qu’il a gardé son âme d’enfant à l’imagination débordante avec des rêves aussi fantastiques que démesurés (E.T l’extra-terrestre, Rencontres du 3ème type, Hook ou la revanche du Capitaine Crochet…), Steven Spielberg est un ionné d’Histoire. Il est surtout friand de ces « anecdotes » qui ont parsemé la Seconde Guerre Mondiale. Avec La liste de Schindler, il offre sa première incursion sérieuse dans ce terrible conflit. Et quelle incursion !

Ce long métrage a marqué durablement les esprits, comme cette guerre l’a fait. Il s’attarde sur l’allemand Oskar Schindler, membre du parti nazi qui, au nez et à la barbe de ses compatriotes, sauva plusieurs centaines de juifs (je vous laisse le soin de découvrir combien) d’une mort annoncée. Comme quoi à l’époque, tous les allemands présents dans le conflit (qu’ils soient sur le front ou pas) n’avaient pas forcément choisi d’être là, pas plus qu’ils ne partageaient forcément non plus les idéaux du Führer et de ses sbires.

Pour info, ce constat figure en toutes lettres à l’entrée du cimetière allemand de La Cambe (département du Calvados), que j’ai eu l’occasion de visiter durant l'été 2017. Rassurez-vous, on n’y ressent pas d’émotions particulières, contrairement au cimetière américain de Colleville-sur-mer (Calvados) qui lui… inspire beaucoup de choses, jusqu’à en avoir des frissons ! Mais revenons-en au film, ou plutôt à ce monument du 7ème art.

Ce film ne vous laissera pas indemne. Il est poignant. C’est d’ailleurs parfaitement illustré par l’affiche, sur laquelle on voit une main d’adulte tenir solidement une main d’enfant. Eh bien le fait est qu’on reste accroché du début à la fin, ce qui fait que les 3h15 ne sont en aucun cas un problème. La seule chose qu’il vous faudra prévoir est un espace-temps suffisant, car vous détesterez être dérangés. La faute (mais en est-ce vraiment une ?) à une réalisation maîtrisée, à une mise en scène impeccable, à un montage qui donne une fluidité hallucinante au récit, à une musique immersive de John Williams, et à une interprétation sans faille de tous les acteurs.

Oui, tous les acteurs sont bons. Qu’ils soient expérimentés (Liam Neeson, Ben Kingsley, Ralph Fiennes…), ou débutants voire simples figurants, ils touchent tous du doigt l’excellence. D’ailleurs ils ne font pas que la toucher, ils l’atteignent ! Cela permet au spectateur de er par toutes les émotions qu’il est en droit d’attendre de ce genre de sujet. Parce que Spielberg n’a en prime pas hésité à inclure des images choc, des images que le public ne connaît hélas que trop bien. De quoi être estomaqué, viscéralement choqué, profondément dégoûté devant les exécutions totalement arbitraires, des décisions radicales prises sans aucune équivalence avec ce qui a suscité cette prise de décision sans retour. Des scènes parfois à la limite du regardable, et qui feront même détourner les yeux chez certains spectateurs.

Ralph Fiennes participe à cette menace permanente de plonger dans l’horreur, qu’il trône crânement depuis le balcon de « sa » villa, ou qu’il soit en tête à tête avec sa bonne. Fiennes est méconnaissable !

Spielberg sait aussi nous montrer la peur que les juifs ressentaient : le spectateur mesure la pesanteur du temps qui s’arrête alors que les visages se figent sous une multitude de questions muettes, parmi lesquelles « que se e-t-il ? » (scène de l’élimination du ghetto) ; il mesure aussi cet instinct de survie désespéré à travers les cachettes (pour certaines impensables) ou à travers la frénésie désespérée à dégager le age des divers objets échoués en vrac. Ben Kingsley, aussi calme et résigné soit-il à travers son personnage, émeut le spectateur de sa réserve, notamment lorsqu’il reste sans voix devant les propositions de Schindler : son visage exprime l’incompréhension, cherchant vainement sans oser demander où est l’embrouille, séquence on ne peut plus visible lorsqu’il trinque avec son protecteur.

Un verre que Stern ne boira d'ailleurs pas.

Quant à Liam Neeson, il étale sans retenue aucune tout l’immense talent qu’il a la chance ou plutôt le don de détenir en matière d’expression scénique. Là-dessus, il est fort, très fort.

Mais parler uniquement de ces trois acteurs hors normes serait réducteur : que dire de ces femmes aux cris et aux visages déchirés lorsqu’on les sépare de leurs enfants ? Cela donne des scènes épouvantablement fortes émotionnellement parlant, mises en images par une caméra tremblante afin de mieux retranscrire la panique provoquée par ce nouveau chaos. Que dire de ces femmes qui attendent la peur au ventre, vissée comme un énorme nœud indigeste au creux de leurs entrailles, une fin inéluctable dans l’antre de la mort que sont les baraquements de désinfection ? Une scène sans plus aucun dialogue et dont l’ambiance anxiogène se suffit à elle-même. Que dire de ces hommes à la tête basse, assommée par la soudaine perte de dignité ?

Ah ben parlons-en de la dignité, justement. Comment ne pas la perdre quand on n’a plus que la peau sur les os et qu’on se trouve obligé de se trimbaler nus au milieu de gens bien portants et scandaleusement indifférents ? Oui, tout cela a été bien représenté. Même la petite lueur d’espoir, aussi ténue soit-elle, qui continue de briller dans les yeux d’un peuple opprimé, sans que jamais elle ne s’éteigne malgré les nombreux vacillements.

En somme, La liste de Schindler est une œuvre incroyablement complète, dotée d’un regard sobre et presque résigné sur ce que les juifs ont pu subir, un regard doublé d’une sorte de reconnaissance envers cet industriel allemand opportuniste. Une œuvre dont le rang de chef-d’œuvre absolu n’est pas volé, grâce à la prise de conscience que le cinéaste a eu quant à l’individualité de chaque juif… ce qui explique l’apparition de la petite fille avec son manteau rouge dans ce film en noir et blanc (image la plus connue du film), en transposant ingénieusement cette prise de conscience à la prise en compte réelle (enfin !) et atterrée de l’horreur et la folie meurtrière nazie par Schindler lors de la liquidation du ghetto. Une œuvre magnifique, logiquement multi-récompensée, et que pourtant, le spectateur n'est pas pressé de revoir, non pas à cause de la longueur, mais en raison des horreurs qui nous sont montrées à l'état brut, et ce malgré l'iration qu'on se surprend à témoigner envers Oskar Schindler.

Même si son œuvre aura été une goutte d'eau dans cet épisode noir, il méritait bien l'hommage rendu par le réalisateur, les scénaristes, mais aussi par ceux qui lui doivent la vie.

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le 27 janv. 2025

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Stephenballade

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