Le Voleur de rêves !

On ne peut pas dire que Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro ont fait des films hyper-conventionnels. Delicatessen est un film d'humour noir d'anticipation complètement loufoque portant de bout en bout une patte bien personnelle. Et cette dernière refait son apparition dans cette Cité des enfants perdus qui est... qui est quoi justement ? Allez, de la science-fiction mixée avec une petite touche d'humour pouvant être assez noire (♩ Petit Papa Noël, surtout ne descends pas du ciel ♫), du fantastique et une bonne louchée de drame (tiens nouveauté générique pour nos deux compères !) avec ces enfants perdus et ce colosse (oui, Ron Perlman, je vais y revenir !) qui l'est tout autant.


Point de vue budget, les décors font très vite comprendre que cela n'a été exécuté avec trois francs six sous. Ils servent bien une atmosphère se voulant délirante (oui, pas forcément évident de saisir parfaitement les tenants et les aboutissants du scénario, disons que presque tous les caractères sont des dégénérés sur pattes !) ainsi que des couleurs sinistres et sombres. Les costumes sont au diapason (le contraire aurait été étonnant avec quelqu'un comme Jean-Paul Gaultier, accompagné de sa mythique marinière !).


Et les gueules incroyables, ces gueules si chères à Jeunet. Dans Delicatessen, il y avait largement de quoi combler les appétits les plus difficiles. On en retrouve certaines d'entre elles ici. Le fidèle des fidèles Dominique Pinon, pardon sept Dominique Pinon oui sept, Jean-Claude Dreyfus (dans un rôle sympathique cette fois-ci, celui d'un dresseur de puces !), Rufus (dans un personnage mal creusé, dont les motifs ne sont pas assez mis en avant, dommage !) et Ticky Holgado. Et il y en a d'autres qui se sont ajoutées : Daniel Emilfork (quelle gueule, mon Dieu, quelle gueule en sinistre voleur de rêves enfantins !), les sœurs jumelles Geneviève Brunet et Odile Mallet, détestables à souhaits en cruelle, cupide et perfide sœurs siamoises semblant être une seule être par leurs actes et leurs paroles, et Mireille Mosset, en naine attachée au méchant. Ah, la ne fournit pas assez de gueules. Ce n'est pas grave, il y a de l'autre côté de l'Atlantique, Ron Perlman, dont le phrasé approximatif dans la langue de Molière (chapeau au Monsieur pour avoir réussi avec autant de brio à sortir ses répliques phonétiquement, sans connaître un traître mot de français !) amplifie le côté "doux géant". Autour de ces gueules, il y a aussi Jean-Louis Trintignant, prêtant sa voix à un cerveau, et la toute jeune et talentueuse Judith Vittet (qui préférera très vite se pointer ailleurs que devant la caméra, tant mieux pour elle, tant pis pour le cinéma !) en héroïne orpheline forte nommée Miette.


Autrement, si la manière dont est détruit le repaire du méchant est mise en scène d'une façon trop précipitée pour être marquante (du moins, dans le sens positif du terme !), j'ai kiffé les dii ex machina. Il y a d'inévitables instants où les deux héros, la jeune fille et celui qui apparaît comme un géant à côté d'elle (oui, Ron Perlman !) sont en danger. On se doute très bien que quelque chose va les sauver. Eh bien, Jeunet et Caro détournent cela avec brio. On sait exactement quand ils vont être sauvés, mais jamais comment. La surprise vient de là, suivant un même schéma donnant des pépites d'imagination absurde et de mise en scène virtuose, où un tout petit truc riquiqui de rien de tout va provoquer une action qui va en provoquer une plus grosse qui va en provoquer une encore plus grosse et ainsi de suite pour aboutir à contrecarrer le péril.


Jeunet et Caro, sans réaliser des films parfaits, ont su offrir à travers leur deux collaborations sous forme de longs-métrages en tant que cinéastes, de véritables moments d'insolite, d'inattendu et d'ambition enthousiasmants à visionner.

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le 7 févr. 2022

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Plume231

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