La Chambre de Mariana par L’archifou

Ce film nous place dans la tête d’un petit garçon juif, Hugo, forcé de se cacher dans le placard d’une fille de joie pour échapper aux soldats allemands, au temps de l’occupation en Pologne.


Enfermé dans la pénombre de ce débarras, seules ses pensées et ses souvenirs lui permettent de tenir le coup. Par son imagination, il revoit ses proches, ses parents, son amie. Se mêlent alors les morts et les vivants, les souvenirs et la réalité, en nous faisant parfois douter de ce qui est vrai et de ce qui ne l’est pas. Nous sommes alors réellement placés dans la tête de l’enfant, et de son regard kaléidoscopique rendant une interprétation singulière de la réalité qu’il subit. On pourrait d’ailleurs, au premier abord, penser que le film souffre de quelques longueurs, que la première moitié du film est ennuyante voire que certains ages auraient mérité d’être coupés : en réalité il s’agit là du génie de ce film. En effet, ce monde, aussi pauvre soit-il, qui nous est montré, est vu via la perspective d’un enfant. Lorsqu’il s’ennuie, seul dans ce débarras, à attendre que le temps e, nous nous ennuyons avec lui. Lorsqu’il a peur, nous avons peur avec lui. Et enfin, lorsqu’il découvre le corps d’une femme, nous le découvrons avec lui.


Pas de nudité gratuite, inutile voire vulgaire ici. Malgré le métier de sa protectrice, le rapport au corps ici ne fait que servir la narration : il s’agit d’un petit garçon qui peu à peu laisse place à un jeune homme. Un désir du corps et de la sexualité nait peu à peu dans l’esprit et dans le cœur de l’enfant, arrivé dans cette pièce à douze ans et libéré à treize.


Le rapport à la violence construit également son caractère : témoin d’atrocités, son père capturé par les nazis, sa petite amie fusillée, ces évènements lui font prendre conscience petit à petit de la réalité de sa situation. La rencontre avec le corps mort de son amie est peut-être ce qu’il vivra de plus violent : il la découvre morte dans une fosse entourée d’autres juifs, juste après l’avoir vue se faire emmener par des soldats, assistant à la scène depuis sa fenêtre, dans une scène rappelant Fabrice del Dongo qui, du haut de sa tour, ne pouvait qu’atteindre du regard sa bien-aimée qui n’avait pas connaissance de sa présence juste au-dessus d’elle, On voit dans le regard du garçon toute cette peur, ce désir criant d’hurler pour qu’elle tourne les yeux, qu’elle sache au moins qu’il est à côté d’elle, qu’elle n’est pas seule, mais rien, ce serait appeler sa propre mort que de signaler sa présence.


Le personnage de Mariana, sa protectrice, ne nous laisse pas non plus indifférent. Cette fille de e, avec des officiers pour clients, témoigne d’une formidable complexité propre à celles qui ont connu la misère. A la fois très dure et très tendre, elle se montre tantôt protectrice et tantôt fuyante avec le petit Hugo, du fait d’un alcoolisme prononcé. Elle se révèlera peu à peu être pour l’enfant une amie, une mère voire à la fin une amante à qui elle donnera le seul amour dont elle aura fait preuve, un amour pur, sans domination, sans rancœur, et sans transaction financière.


La fin, d’ailleurs, est marquante. La fin du régime pour nazi rime, pour les filles de ce bordel, à une potentielle épuration sauvage de la part des soviétiques, du fait de leurs acoquinements avec les officiers nazis. Ainsi, Hugo, qui était jusqu’alors un danger pour la maison close, devient pour les filles de joie leur unique espoir de garder la vie. Ce revirement se manifeste dans la relation entre Hugo et Mariana : c’est désormais lui qui la protègera, qui la rassurera, et qui lui permettra de rester en vie. Le « chiot » est désormais un homme.


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le 29 avr. 2025

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L’archifou

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