Ceux qui s’aiment prendront le train
Voilà probablement l’un des films que j’apprécie le moins de Renoir, mais sûrement pour de mauvaises raisons. J’ai énormément travaillé sur le roman de Zola, que je connais pour ainsi dire par cœur, et le travail de mon imaginaire et du décorticage du texte n’aident en rien à la tolérance face aux inévitables raccourcis et amputations de l’adaptation filmique.
Le film est évidemment de qualité ; cadrage, photographie, éclairage, gestion de l’espace sont exploités avec le talent habituel du maitre. La mobilité de la caméra dans les scènes les plus intenses des intérieurs, dont Séverine est toujours la victime, ou lorsqu’on va chercher, dans le wagon, à voir le corps poignardé de Grandmorin, est d’une grande maitrise. Mais c’est dans la vie donnée au chemin de fer, notamment lors de la séquence inaugurale, que le film dévoile toute sa puissance : longue ouverture sans dialogue (mais magnifiée par un grand travail sur le son et les inflexions du fracas du train, qu’il soit à l’air libre, dans un tunnel ou sur un pont suspendu…), précipitation à la fois enthousiaste et inquiétante de la machine, elle dit aussi l’implacable tragique qui menace les personnages.
Le jeu de Gabin, tout en fragilité et nonchalance, est assez surprenant, surtout au début, lors du dialogue avec Flore ; un rien désabusé, il évoque son mal par un « c’est terrible » un peu las, mélancolique davantage que pathétique. Pourtant, l’interprétation finit par avoir du sens dans la réécriture proposée, notamment dans la fin qui n’a pas grand-chose à voir avec celle de Zola. Toujours aussi attachant, le fidèle Julien Carette donne une épaisseur bienvenue à Pecqueux, tout en gouaille parisienne, et Fernand Ledoux, en mari jaloux, est lui aussi plutôt convaincant.
Le film n’en est pas moins desservi par une batterie d’éléments qui l’alourdissent à mon sens considérablement : assez théâtral et figé, (ces scènes de baisers, ces poses du couple joue contre joue…), étrangement rythmé dans certaines scènes de violence, souligné par une musique poussive, il empêche souvent le surgissement de l’émotion. Simone Simon, bien plus convaincante dans La Féline de Tourneur, est assez irritante et ne semble pas à la hauteur de la perversité croissante de son personnage.
Je serais curieux de savoir ce que j’aurais pensé du film sans avoir lu le roman ; toujours est-il qu’il est incontestablement en dessous des deux chefs d’œuvres qui l’encadrent dans la filmographie de Renoir, La Grande Illusion et La Règle du Jeu.
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Modifiée
le 15 janv. 2014