Je commence à bien connaître Rivette et je me connais de mieux en mieux aussi ; mes goûts s'affirment et je sais mieux ce que j'aime et ce que je n'aime pas. Alors je ne dirai pas que Rivette est un mauvais cinéaste, mais je pense que c'est un cinéaste très inégal, qui a réalisé davantage de films ratés que de films réussis, et je pense aussi que sa collaboration avec Pascal Bonitzer (qui a lui-même mis en scène quelques films, sans beaucoup de réussite à mon avis), si on ne peut la qualifier d'échec - La Bande des quatre et Secret défense sont très agréables à voir -, me pose problème. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si à mon avis la plus belle oeuvre de Rivette est celle qui précède immédiatement la période Bonitzer, à savoir le merveilleux Pont du Nord.
La Belle Noiseuse est une adaptation libre du Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac. Mais l'oeuvre de Balzac était à la fois écrite et courte, alors que l'oeuvre de Rivette est visuelle et très longue, et cela change tout car le principe de la nouvelle ne peut être reproduit en images (à moins de ne jamais montrer le travail du peintre sur la toile, aux antipodes du choix de Rivette). Rivette et Bonitzer trouvent donc une astuce qui consiste à nous cacher le tableau fini tout en nous montrant la création de l'oeuvre. Par conséquent le propos du film n'a rien à voir avec celui de la nouvelle où Frenhofer échouait à créer l'oeuvre de sa vie ; dans le film Frenhofer réussit le tableau mais ne veut pas le montrer, et à la place il offre une toile vite faite bien faite au marchand Porbus et tout le monde est content. Mais ce qui me dérange c'est que tout au long du film on a le sentiment que Frenhofer est à côté de la plaque, et surtout qu'il ne regarde pas son modèle. Peut-être que je me trompe et que je suis é à côté du film, et il est vrai que les scènes les plus intéressantes restent les moments de pose où la maîtrise de la durée et le regard documentaire du cinéaste se révèlent.
En revanche, tout le reste du film m'a ennuyé. On a d'une part le marivaudage entre les personnages, qui se voudrait empreint de gravité mais qui reste artificiel à mes yeux - on ne comparera pas avec Le Mépris de Godard... Et d'autre part toutes les discussions sur l'Art avec un grand A, qui s'achèvent par cette sentence révélatrice "La peinture n'est pas affaire de mots" (ou à peu près). Mais alors pourquoi tant de mots auparavant ? Et surtout pourquoi les mots de Bonitzer ? Les dialogues du film témoignent d'un esprit de sérieux, d'une espèce de lyrisme solennel qui me fatigue franchement. Et tout ça plombe un film qui a des atouts - ses acteurs, sa photo, et ses plans car Rivette sait filmer - mais qui je trouve n'est pas à la hauteur de ses ambitions.
Peut-être que je le reverrai, mais pas demain.