Je vais reprendre le déroulement de ma réception du film ; ce qui devrait expliquer pourquoi je le trouve original et maîtrisé. Ce sera probablement incompréhensible pour ceux qui ne l'ont pas vu, tout en leur dévoilant des éléments de l'intrigue qu'ils auraient préféré ignorer.
D'abord la bande annonce, qui prévient que le personnage principal va être incriminé par les journaux et donc probablement par la police.
Le film présente assez rapidement l'élément visuel qui nous permettra de différencier, par une nuance assez subtile (comme la mise en scène sans tape-à-l'oeil, ou le sujet "modeste"), les deux lignes temporelles qui vont alterner presque jusqu'à la fin.
Ainsi vont s'enchaîner deux suspens : on se demande d'abord quels faits vont lui être reprochés, et on suit le récit comme avec le pressentiment d'un événement grave (cadrage et éclairage désigneront assez clairement la source du problème, mais le suspense sera prolongé pendant un certain temps avant que ne se produise le tournant dramatique). Le second suspens concerne la manière dont l'infirmière va ensuite se trouver impliquée, et jetée en pâture aux media (dont on a vu l'essaim de mouches à merde dans la bande annonce). Là encore, ironiquement, on voit impuissant se dérouler le fil des mauvais choix et des aveuglements.
Le suspense provoque l'implication du spectateur de la manière décrite par Hitchcock dans ses entretiens avec Truffaut. On sait que la bombe est là, prête à exploser, mais on ignore quand - à la différence ici que l'on est également prévenu que rien n'empêchera l'explosion ; il n'y a pas la tension du doute à ce sujet. Ce "fatalisme oriental" privilégie l'analyse psychologique aux dépens des sensations fortes.
Et c'est dans cette différence que repose l'originalité de "l'infirmière", thriller en mode mineur axé non sur la trépidante traque d'un criminel (de son point de vue ou de celui des enquêteurs) mais sur les à-côtés, les répercussions collatérales. On ne saura quasiment rien du crime, de son auteur et de sa victime. Mais on observera le sentiment de culpabilité montant de l'infirmière, participante involontaire du drame.
Ce point de vue décalé, les personnages et la société en sont incapables. L'aveuglement, le jugement hâtif et l'ostracisation laissent comme seule échappatoire la disparition ; dans l'anonymat de la capitale, sinon dans la solution traditionnelle lorsqu'on "perd la face", la réponse au déshonneur, le suicide.
Même lorsque l'infirmière tente de se venger en prenant dans le lit de son amant la place de celle qui l'a incriminée, elle reste enfermée dans son aveuglement. Le champ-contre-champ entre les fenêtres de leurs appartements n'est qu'un leurre : elle n'a pas su se mettre à sa place (métaphoriquement et en acte) pour la punir.
Lorsqu'elle comprend cette "ironie du sort", elle culpabilise même vis-à-vis de celle qui provoque sa rage (comme le symbolise la gifle), dont elle la première a involontairement provoqué la souf - en partie probablement par (l'observation de) sa bonté (envers la grand-mère artiste). Elle ne peut même plus s'accrocher à l'illusion de la maigre satisfaction de la vengeance. C'est en aidant les autres qu'elle a déjà causé leur perte.
Gifle supplémentaire, celui qui a causé leurs tourments à toutes (mais le film ne s'interroge -t-il pas sur l'ime qu'il y a à chercher une "cause première", en se désintéressant de la personnalité de l'auteur du crime?) souhaite exprimer ses regrets auprès de sa victime, bêtement inconscient du purgatoire qu'il impose pour le reste de sa vie à celle qui, assumant la responsabilité de prendre en charge ce fils de sa soeur décédée (probablement suicidée par sa faute), se retrouve condamnée avec lui (à moins qu'il n'ait lui-même été la victime de son éducation - ou qu'il ne soit un crétin congénital - etc.).
L'infirmière n'emprunte pas les chemins rebattus du "rape and revenge" ou de l'investigation criminelle ; puisque son métier reposait sur un sentiment de comion envers les personnes souffrantes, pas sur la satisfaction de désigner et de punir des coupables.