Voir le film

Sa dignité nous aura sauvés de la misère.

Je m'y suis risqué parce qu'on me l'a conseillé. Mais, je vous le dis tout net : ce genre de film, c'est le type de cinéma que je ne vais plus voir. C'est bien simple : cette Histoire de Souleymane, ce n'est pas mon cinéma.


Je ne dis pas ça pour être méprisant, mais juste pour poser un constat. Moi, quand je file dans une salle obscure, c'est pour voir quelque chose dont on ne profite vraiment à son plein potentiel que là-dedans. Or, quand je vois un film comme cette Histoire de Souleymane, la première question que je me pose c'est « pourquoi on nous projette ça ici ? »

Ce film n'a aucune prétention esthétique. Tel un triste symbole, il nous sort le traditionnel orange et bleu Michael-Bayesque que tout le cinéma d'auteur occidental décide désormais d'adopter par défaut, faute d'inspiration et d'aspiration. Un choix d'autant plus incompréhensible quand on semble avoir fait le choix, comme ici, du parti pris naturaliste.


De toute façon, et de manière générale, les préoccupations formalistes de ce film relèvent clairement, à mes yeux du moins, de la gestion de contraintes liées à un mauvais choix de forme ou de format.

Pourquoi avoir fait le choix du long-métrage ? Pourquoi pas le moyen ou le court ? Pourquoi même le cinéma d'ailleurs ? Si l'objectif principal est l'information et la sensibilisation, pourquoi pas le reportage journalistique ou le film documentaire ?

C'est qu'on sent bien, tout le long de cette Histoire de Souleymane, que les priorités tiennent avant tout au nécessaire inventaire : il faut faire la petite liste didactique de ce que subit le demandeur d'asile et ne surtout rien oublier. Il faut bien expliquer la chose aux gens ; jouer son rôle de film pédago et plaidoyer, tout en tenant le minimum syndical de la petite heure et demie...


Et ne vous y trompez pas : je n'ai rien contre le fait qu'on se décide à mobiliser un média afin d'informer et de sensibiliser ; voire même carrément de mobiliser un domaine artistique. Par exemple, sur le même sujet, moi j'ai déjà lu la bande dessinée Seidou, en quête d'asile, qui raconte, elle aussi, le parcours d'un réfugié politique guinéen. Or, pour le coup, je trouve que le format BD se prête bien mieux à ce genre de récit. Narration et compositions visuelles parviennent à la fois à mêler récit brut, puissance suggestive, tout en évitant le piège du misérabilisme.

Et quand bien, au bout du compte, l'angle d'attaque de cette Histoire de Souleymane est-il légèrement différent pour nous parler du sort des demandeurs d'asile guinéens, que malgré tout, dans mon esprit, la comparaison avec Seidou m'a constamment rappelé à ces questions formelles pourtant fondamentales.


Vous l'aurez donc compris : ce film et moi, on n'était pas trop fait pour se trouver. Malgré tout, quand bien même navigue t-on ici loin de mes bases, que je dois bien cependant reconnaître qu'au sein de cette galaxie du cinéma naturaliste et plaidoyer, cette Histoire de Souleymane se distingue malgré du reste tout par le haut.

Je note déjà – et c'est un minimum malheureusement trop souvent absent de ce genre de production – que l'auteur Boris Lojkine sait de quoi il parle. Le film est clairement documenté. Il connaît son sujet. Il évite déjà de sombrer dans la caricature du social porn misérabiliste.

Alors d'accord, la démarche pédagogique du film l'oblige à faire s'accumuler les problèmes sur les épaules de son personnage éponyme mais, en contrepartie, le scénario et la mise en scène ont l'intelligence de ne pas trop en faire, d'éviter de surcharger la barque.

La scène avec les policiers est par exemple plutôt malicieuse. Au final, elle n'aboutira à aucune embûche pour Souleymane, mais non seulement elle permet de faire émerger intelligemment quelques informations sans que ce soit trop forcé mais en plus en permet de considérer tout ce qui, dans ce moment, aurait pu mal tourner .Au final donc, il ne s'est rien é, mais narrativement, la scène a su être riche de tension et d'information.

Je noterais aussi cette habilité qu'a le film à savoir glisser ici ou là quelques petites nuances et subtilité qui permettent de briser les représentations trop simplistes.

J'ai trouvé par exemple assez malin que, parmi les premiers clients de Souleymane, se trouve un homme noir. On casse tout de suite l'image des pauvres noirs d'un côté et des riches blancs de l'autre : on pose au contraire la complexité des statuts, surtout que l'homme qui e la commande semble lui aussi dans une situation de subordination puisqu'il apparaît être un agent d'accueil.

Le film enchaine pas mal les cas, ce qui est l'occasion de porter un regard diversifié sur la société fragmentée, où les intérêts particuliers se percutent sans se concilier. D'un côté il y a la cliente enfermée dans ses rapports marchands qui ne juge que la prestation mais pas la situation ; de l'autre il y a ce patron qui fait valoir son droit à ne pas se laisser dicter ses cadences par les diktats d'Uber mais qui, là encore, ne considère pas la situation des livreurs. Et puis il y a le cas de ce client qu'on nous présente d'abord comme un malpropre refusant de répondre à l'interphone descendre quelques étages mais qui se révèle par la suite n'être qu'un simple parent isolé qui se fait livrer ses plats à distance par son fils. L'air de rien, au-delà de la simple déconsidération du cas des réfugiés, c'est une déconsidération généralisée pour autrui qui est mise en perspective.


L'autre grand point fort, c'est que la dimension « histoire » de ce film n'est pas non plus éludée. Parce que oui, ça reste une histoire qu'on nous raconte ; ou pour être plus exact deux histoires. D'un côté il y a l'histoire que tout le monde veut entendre – ou du moins cette histoire dont on croit que c'est celle qu'on se doit de raconter pour être un minimum considéré – et puis de l'autre, il y a cette deuxième histoire – la vraie – celle dont tout le monde se fout mais qui s'écrit malgré tout sous nos yeux ; qui se dévoile par bouts ; et que le film nous apprend à vouloir entendre. Ce qu'on nous apprend à souhaiter, ce n'est pas une version misérabiliste, mais juste la VRAIE raison ; celle du réel ; celle qui pousse Souleymane à demander l'asile.


Par rapport à ça, cette Histoire de Souleymane sait judicieusement poser l'entretien de demande d'asile comme un alpha et un omega. Le film débute et se conclut par lui. Les spectateurs que nous sommes sont alors tiraillés. Il y a d'un côté cette fausse histoire qui permettra peut-être à Souleymane d'obtenir ses papiers et de l'autre cette histoire vraie – peut-être moins efficace istrativement – mais que le film a su nous rendre indispensable.

Nous, contrairement aux autorités, nous avons déjà une part de la vérité. Ne manque plus que la pièce finale.

En cela, cette scène conclusive s'avère très efficace, construite comme un point d'orgue et de tension. La sobriété du dispositif, la qualité d'interprétation et la force brute du témoignage faisant tout le reste.


De là, difficile de ne pas reconnaître qu'au sein de ce cinéma qui n'est pas le mien, cette Histoire de Souleymane sera malgré tout parvenu à faire ces quelques choix qu'il fallait pour se rendre, à mes yeux, à défaut d'être appréciable, au moins honorable.

En fuyant le misérabilisme autant que possible, tout en se rattachant à la nécessité de raconter convenablement une histoire, ce Souleymane aura su trouver une forme de dignité dans sa situation désespérée.

Voilà qui ne changera pas le monde pour ce qu'il est. Mais, au moins, voilà quelque chose qui, a contrario, ne le rendra pas plus mauvais...


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le 27 mars 2025

Modifiée

le 27 mars 2025

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lhomme-grenouille

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