Certains métiers favorisent un particulièrement éprouvant avec la nature humaine : c’est le cas de la police, et prenant son relais, la justice. Norman Jewison, qui se prête volontiers à un regard sans concession sur la société de son temps (Dans la chaleur de la nuit) ou du supposément notre (Rollerball, sorti en 1975 et se ant… en 2018) investit les tribunaux pour une fable assez enlevée et par moments déconcertante.
L’idée est de restituer la folie inhérente à ce milieu, dans lequel le crime n’est plus la question, mais un fait, et le moyen de faire avec l’occasion de toutes les manipulations : par les avocats, mais aussi les juges et la police, pour aboutir à un vaste jeu de dupes dans lequel les plus faibles trinquent.
Ce parti pris est ce qui fait toute la saveur du film : restituer une hystérie continue et qui conduit à l’aliénation : par le portrait d’une des victimes, un noir travesti qui cumule à peu près toutes les singularités pour être broyé par la machine, d’un avocat idéaliste et luttant contre des moulins à vents (Al Pacino, en (trop, comme souvent) grande forme), et de deux juges aux antipodes.
Le premier, lessivé par la laideur du tableau social, est devenu un fantasque suicidaire, occasionnant les séquences les plus originales, mêlant la comédie noire (la sortie en hélicoptère ou le running gag le voyant avec un canon dans la bouche ou au bord du vide dans les situations les plus quotidiennes) à un désespoir assez poétique. Le deuxième, archétype du système cynique, tire davantage vers la caricature en brisant les petits tout en asseyant son pouvoir inique. C’est par lui que se dessine un récit en forme de dilemme, forçant l’humaniste Pacino à assurer sa défense, quand bien même il le sait coupable du pire.
Lorsqu’il délire à plein tube, le film est doté d’une véritable énergie, et dévie vers une fable sociétale souvent séduisante ; mais ses excès se retournent contre lui à partir du moment où il creuse le sillon d’un récit qui se voudrait plus sérieux, et vecteur d’une dénonciation sociale. On a du mal à donner du crédit au personnage de Pacino, qui ne peut raisonnablement s’investir émotionnellement comme si chacun de ses clients était son propre enfant. De la même manière, les développements et la plaidoirie finale, qui déploie tout ce que la dramaturgie américaine peut faire de plus poussif, plombe sérieusement la dose de folie qui prévalait jusqu’alors.
Dommage de voir le film reprendre les rails d’une démonstration aussi manichéenne : la caricature était bien plus incisive lorsqu’elle se fondait sur un absurde (non dénue de désespoir) que lorsqu’elle tente les lourdeurs du pathétique.