Sous le sable des clichés

Certains films, malgré une intention noble, échouent à trouver leur souffle. Just Like a Woman, réalisé par Rachid Bouchareb en 2012, s’inscrit malheureusement dans cette catégorie. Ce road movie féminin, pensé comme un cri d’émancipation et de sororité, se perd rapidement dans un désert de stéréotypes, de raccourcis narratifs et d’émotions artificielles. Une déception d’autant plus grande que le potentiel de départ était réel.


L’histoire de Marilyn, une Américaine fuyant un mariage en ruine, et de Mona, une immigrée égyptienne injustement accusée, promettait un voyage initiatique puissant. Deux femmes que tout oppose, réunies par la fuite et le désir de renaissance. Pourtant, leur aventure peine à s’incarner. Le récit suit une route balisée, sans imprévu ni intensité, avec des péripéties attendues et des dialogues trop souvent schématiques. On devine les intentions derrière chaque scène, mais elles ne prennent jamais corps avec justesse.


Bouchareb voulait visiblement livrer une œuvre accessible et symbolique, mais à force de vouloir dire beaucoup, il finit par ne rien dire profondément. Le film survole des thèmes forts — le racisme, la violence conjugale, l'exil, la libération par l’art — sans jamais leur accorder l’épaisseur qu’ils méritent. Pire encore, il tombe parfois dans les écueils qu’il prétend dénoncer : la figure de l’Orientale mystérieuse, la blonde américaine naïve, le mari infidèle, la belle-mère oppressive. Une simplification regrettable qui empêche toute identification réelle.


Si le film échoue sur bien des plans, il doit beaucoup au duo de ses interprètes principales, dont le jeu tente de compenser les faiblesses du scénario. Sienna Miller incarne Marilyn avec une certaine grâce blessée : son regard habité, sa gestuelle hésitante, traduisent bien le désarroi d’une femme brisée en quête de réinvention. Golshifteh Farahani, quant à elle, possède une intensité naturelle, un mélange de retenue et de fierté silencieuse, qui donne à Mona une dignité souvent absente de l’écriture du personnage.


Mais ces deux actrices, pourtant talentueuses et investies, se heurtent à des dialogues figés et à une évolution psychologique trop peu nuancée. Elles essaient de faire vivre leurs personnages au-delà de ce que le scénario leur offre, mais finissent par donner l’impression de tourner à vide. Leur alchimie reste superficielle, freinée par une construction dramatique trop mécanique.


Sur le plan visuel, le film aligne de jolies cartes postales — couchers de soleil sur la route, déserts en clair-obscur — mais ne parvient jamais à les investir d’une réelle charge émotionnelle. La mise en scène reste sage, presque illustrative. Quant à la musique, souvent trop appuyée, elle renforce davantage les clichés qu’elle ne les transcende.


On sent derrière Just Like a Woman une volonté sincère d’aborder des sujets sensibles avec humanité. Mais cette sincérité est sans cesse désamorcée par une approche trop convenue, trop édulcorée. Le film donne l’impression de cocher des cases plutôt que de raconter une histoire vibrante. Et c’est précisément ce manque de souffle, de tension et de complexité qui le condamne à l’oubli.


Just Like a Woman aurait pu être un hymne lumineux à la liberté féminine, un chant de solidarité entre cultures et blessures. Il n’est, au final, qu’un projet avorté, lesté par ses bonnes intentions mal exécutées. Un film qui, sous des dehors généreux, manque cruellement de justesse, de densité et d’âme.

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