Jouer avec le feu
6
Jouer avec le feu

Film de Muriel Coulin (2025)

Jouer avec le feu : " Il est des hommes qui se perdront toujours"


Dans un drame désespéré et vibrant, Vincent Lindon incarne un père veuf perdu face à la dérive extrémiste d’un de ses fils.


Un principe de nervosité couve dans tout le film des sœurs Coulin, à l’image du jeu de l’acteur Benjamin Bonvoisin (fauve et instinctif), toujours à deux doigts d’exploser mais qui reste contenu. Jouer avec le feu brille par cette énergie autant qu’il promet encore davantage de flammes et de nuit. Adapté du roman de Laurent Petitmangin « Ce qu’il faut de nuit », le film installe un climat mélangeant tristesse et tendresse, menace, amour et incompréhension entre un père cheminot (Lindon) et ses deux fils qu’il élève seul et auxquels il tente de donner toute l’affection possible.


Cette tension et nervosité infiltrent la mise en scène à bas bruit, comme sans cesse censurée ou bridée. C’est dommage car le film y puiserait une vigueur explosive, un feu vital, une dimension plus organique qu’il recherche par certaines scènes trop brèves de rave party, de foot ou d’endoctrinement fasciste où le fils aîné (Félix, dit Fus) se laisse happer.


Hormis cette viscéralité présente donc (surtout par le jeu de Benjamin Bonvoisin/Fus) et quelques occurrences qui prennent ici valeur de geste trop formel, Jouer avec le feu se tient dans une ligne médiane (celle des « Lindon movies ») traitant de la paternité et ses difficultés, de la filiation et du lien familial ici réduit à trois hommes (un père et ses fils). L’ensemble est mené avec justesse et bizarrement une certaine mollesse, effet déceptif du principe de nervosité et de rage contenues contre les destins sociaux suffoqués. Contre l’annonce du titre, le film ne se risque pas assez dans son sujet. On ne comprend pas vraiment pourquoi Fus est entraîné dans sa dérive néo-fasciste qui par ailleurs n’est pas traitée mais plutôt laissée en hors-champ.


La beauté du récit tient alors à supprimer du champ de l’image presque toute idée de la femme ; la mère de cette fratrie étant morte. Il faut envisager le devenir des hommes. Seuls. Et donc leur saccage, abnégation et perte. Ici Delphine et Muriel Coulin intriguent, travaillant cette matière de l’image avec les visages gémellaires de Stefan Crépon et Bonvoisin entouré de leur patriarche, identique à lui-même (magistral sans trop rien faire), Vincent Lindon. Le film réside tout entier dans ce corps à trois têtes : leurs liens, leur complicité et leurs silences.


Jouer avec le feu tout en affirmant une noirceur digne et n’ayant pas peur du tragique manque d’une radicalité narrative ou d’une sécheresse plus incisive dans le montage.


Puis vient l’inattendu de toute une troisième partie tragique, belle et intimiste, recueillant toute la colère du fils aîné et la désolation du père, sortant de la balise des films sociaux (pour trouver néanmoins une autre convention : celle du procès) et venant réinjecter et réaimanter les émotions mises en jeu. Là, dans une déchirante plaidoirie, le personnage de Lindon agrippe les sens et nous cueille dans la confession des impitoyables fils de la destinée, s’écrasant sur son enfant. Tous les pères y sont coupables. Tous les fils damnés. Nous songeons comme épilogue au film au beau titre du livre de Rebecca Lighieri Il est des hommes qui se perdront toujours.

8
Écrit par

Créée

le 25 janv. 2025

Critique lue 633 fois

7 j'aime

Violette Villard

Écrit par

Critique lue 633 fois

7

D'autres avis sur Jouer avec le feu

Deux fils dont un facho

Que dire de neuf à propos de Vincent Lindon, pour sa prestation dans Jouer avec le feu où son rôle de père cheminot, élevant seul ses deux fils, semble taillé à sa gigantesque mesure. Mais ne...

le 14 nov. 2024

18 j'aime

4

Dangereuse représentation de la radicalité

Dans "Jouer avec le feu" , Pierre, cheminot veuf, n’a que ses mains pour travailler, que ses principes pour tenir debout. Il a élevé ses fils dans l’idée d’un monde juste, où la lutte ouvrière et la...

Par

le 31 janv. 2025

13 j'aime

5

Made in French

Il est peut dire que nous vivons des chamboulements politiques, ou au moins, un clivage de plus en plus extrême auquel nous somme confrontés dans la vie politique et civil ne sont pas sans...

le 23 janv. 2025

10 j'aime

8

Du même critique

L'attachement: La puissance de la douceur

Carine Tardieu réussit avec L’Attachement une comédie dramatique dense en émotions et questionnements sur ce qui distingue l’amour de l’attachement, sans verser dans le mélo et en laissant toujours...

le 14 févr. 2025

21 j'aime

8

Ceux qui rougissent: Les Blancs de la jeunesse

Dans 8 épisodes de 11mn Julien Gaspar-Oliveri filme à bout portant avec une sensibilité effrontée et une vigueur incisive une dizaine de jeunes lycéens dans un atelier théâtre.Ce qui est remarquable...

le 2 oct. 2024

15 j'aime

Le renversement des Icônes

Avec culot, panache, un narcissisme structurant bien tourné donc ouvert à l'autodérision et à l'ambivalence, Judith Godrèche propose son retour à Paris fictionné en série "Icon of French Cinema"...

le 24 déc. 2023

14 j'aime