Avec Inside Llewyn Davis, pas d'effluve romanesque, pas de folie des grandeurs, les réalisateurs américains nous offrent là un film intimiste sur un artiste vagabond qui tel un funambule va de canapé en canapé et crèche par ci par là, où l'on veut bien l'accueillir. Ce personnage de Llewyn Davis, magnifiquement interprété par le très prometteur Oscar Isaac, s'inscrit parfaitement dans l'idéal imaginatif de l'univers des Coen. Soucieux de personne et surtout pas de l'avenir, il ne planifie rien, voyant dans l'idée de la carrière, quelque chose d'incohérent avec la notion même de faire de la musique. On voit alors naître des artistes qui attirent l’œil au lieu de faire vibrer les oreilles, des chansons simples au texte lénifiant qui remplacent les songwriters qui rapportent peu, là où les producteurs de label font la pluie et le beau temps.
La musique évolue et est faite de sacrifices. Se sentant presque incompris, multipliant les galères sentimentales ou professionnelles, le chanteur va faire le point sur certaines parties de sa vie. Le film, qui se déroule sur un laps de temps d'une semaine, deviendra une sorte de age à l’âge adulte dans un enfer vorace pour ce raté attachant mais qui restera un éternel poissard, comme le prouve la fin du film. Alors qu'on pourrait reprocher au Coen de ne faire que du Coen en mélangeant intelligemment mélancolie douceâtre et humour ironique, c'est surtout dans la finesse de son écriture et dans la retenue de la narration qu’Inside Llewyn Davis atteint de subtils moments de perfection.
Car oui, à l'image de son personnage principal, les frères Coen ne cèdent pas aux sirènes du grand Hollywood avec ses grands violons et ses moments de rédemptions mièvres mais préfèrent filmer la nostalgie et le pessimisme de la deuxième chance qu'on le consent à faire pour avancer ou non dans la vie. Une fois de plus mais sans le travail de Rogers Deakins, on assiste à une maestria visuelle et une retranscription d’époques sublime avec cet univers qui sent bon le cuivre, avec l’odeur naissance de cette tristesse musicale. Le film a le parti pris de faire la part belle à la musique et ce n’est pas pour déplaire tant la bande son et la voix d’Oscar Isaac donnent des frissons.
L'art et l'intégrité font avancer cet homme, et c'est peut être le plus bel hommage que les Coen pouvaient faire à leur propre cinéma. Après leur bel hommage au western en la présence de True Grit, les frères Coen écrivent un beau témoignage d'amour pour cette folk fébrile et chuchotante des années 60, tout en observant avec une petite once d'amertume la commercialisation de l'art. Certes, Inside Llewyn Davis n’en reste peut être pas moins un film mineur dans la filmographie de leurs auteurs mais c’est sans doute dans ces moments de subtilité et de tristesse absolue que les Coen sont les meilleurs.