Et voilà qu’on nous sort cet Indiana Jones 5, ant presque inaperçu entre la poire Spider-Man 8 et le fromage Mission : Impossible 7 : bienvenue dans les années 2020…
D’ailleurs j’ai dit « presque inaperçu » alors que j’aurais mieux fait de dire « presque indifférent ». Presque indifférent parce que, moi comme beaucoup d’autres, on n’est plus beaucoup à être encore dupes.
Mangold, Spielberg, Lucas, Disney : tout ça ne fleure pas bon la créativité et le beau cinéma de nos jours. On se plie à l’air du temps. On standardise à outrance. On lisse au possible. Et à la fin, on a un triste produit usiné totalement fade qui ne ressemble à pas grand-chose… Et – ô surprise – cet Indy 5 n’y réchappe pas…
…Et c’est dommage.
C’est dommage parce que ça aurait pu le faire… Enfin du moins, ça aurait pu le faire à une autre époque.
Parce que bon, d’accord, c’est vrai qu’il y a dans cette mouture 2023 une volonté manifeste de revenir aux fondamentaux après les tentatives de renouvellement de l’univers de la saga initiées par l’épisode très critiqué du Royaume du crâne de cristal.
En cela, c’est vrai que ce Cadran de la destinée marque une sorte de repli frileux, ce qui peut légitimement lui être reproché. (Et on y reviendra.)
Seulement, je note malgré tout que ce retour aux fondamentaux n’a pas – du moins de mon point de vue – que des mauvais côtés.
Déjà – et ce n’est pas négligeable – il permet de s’extirper du funeste chemin sur lequel Spielberg avait convoyé sa saga lors de son précédent opus. Parce qu’autant j’avais trouvé louable cette volonté de revitaliser l’univers d’ Indiana Jones en voulant lui apporter une nouvelle dynamique, autant j’avais trouvé tous ces choix opérés comme vraiment problématiques.
Transiter de l’univers de la Seconde guerre mondiale à celui de la Guerre froide, c’était louable, mais les soviétiques ne sont pas les nazis et malheureusement, au travers de la caméra du bon vieux Spielby, la différence ne sautait pas aux yeux. Or, avec cet Indy 5, on se reconnecte au rapport mystique qu’Hitler pouvait entretenir avec son ordre de Thulé et ça colle tout de suite beaucoup mieux à l’identité de la saga.
Idem, vouloir zieuter du côté de mythes non-occidentaux pouvait avoir du bon dans le Crâne de cristal, mais avoir mêlé ça au trip « OVNI » caractéristique des années 50-60 n’a pas fait bon ménage. Là, dans cet opus, on renoue avec la Grèce antique, et ça a clairement un aspect presque rafraichissant. (On en reparle aussi très vite.)
Enfin, vouloir introduire un remplaçant à Harrison Ford pour qu’il prenne le relais avait certes du sens dans Indy 4, mais miser sur Shia Labeouf était incontestablement une mauvaise pioche et, fort heureusement, ce cinquième opus change le casting au profit d’une filleule plus espiègle et moins tête-à-claques…
...Et l’air de rien, ce retour aux sources permet – en partie du moins – d’insuffler à ce Cadran de la destinée ce qui manque trop souvent aux autres sagas d’aujourd’hui : une identité.
Sur ce point, Mangold sait respecter son ainé et – malgré les contraintes évidentes de Disney – parvient à remobiliser tous ces marqueurs qui font qu’ Indiana Jones n’est pas Star Wars, Avengers ou autre James Bond… Et quand je parle de marqueurs identitaires, je ne parle bien évidement pas que de simples marqueurs esthétiques, comme la reprise du casting, du chapeau ou du motif musical, mais de marqueurs véritablement structurants de la saga.
Ça fait par exemple du bien de voir comment Mangold sait faire revivre cet élément pourtant clef de la saga qui consiste à établir des ponts entre les mythologies d’hier et d’aujourd’hui.
Je trouve notamment particulièrement pertinent la mise en parallèle des personnages incarnés par Harrison Ford et Madds Mikkelsen ; deux personnages qu’on pose comme hors de leur temps ; imprégnés d’Histoire et de civilisations quand leur époque se tourne davantage vers la prouesse technologique et l’accumulation de capital.
Idem, c’est vraiment appréciable de retomber sur ces parcours faits d’énigmes, de cabrioles et de coups de ruses. Chose d’ailleurs inattendue : je me suis surpris à être curieux de savoir où le film comptait aller. Et même si le cheminement est long à se développer (et de ça aussi on ne va pas tarder à en parler), j’avoue avoir trouvé l’idée du dénouement final plutôt bienvenue et jouissive.
Non mais ce final en pleine bataille de Syracuse : quelle idée ! Quel visuel ! Voilà quelque chose qui sait à la fois être très Indiana Jones et en même temps très original. Associé au fait qu’on apprenne qu’en fait Archimède n’a pas inventé son artéfact pour voyager dans le temps mais pour amener de l’aide du futur, je trouve ça plutôt malin au regard de la philosophie générale du film reposant sur l’opposition entre ceux qui cherchent à comprendre les civilisations ées et ceux qui ne sont là que pour les exploiter selon leur propre intérêt, échappant ainsi en partie à la réalité de l’objet étudié.
…
Seulement voilà, malgré ces quelques qualités-là – et qui sont bien réelles – le plaisir n’a été pour moi au final qu’ assez limité ; voire il a carrément fallu aller le chercher aux forceps.
Parce que, comme dit plus haut, cet Indy 5 n’a pas su déer son époque. Il reste malheureusement – et tristement – un film des années 2020.
Dès les premières secondes, un premier verdict tombe et il est sans appel. Le film est laid. Mais vraiment très laid.
Plastiquement parlant, c’est tout bonnement hideux. Les lumières et teintes sont lissées numériquement à tel point que tout est dénaturé. On sent que l’enjeu central a été de cacher les fils. Papy Ford ayant du mal à se bouger – et on le comprend – on va essayer de donner l’illusion qu’il arrive encore à bourlinguer pas trop mal en multipliant les fonds verts, les plans lointains et les coupes rapides. Le problème c’est qu’en procédant ainsi, rien n’a de texture, rien n’a de profondeur, rien n’a d’inertie, rien n’a d’impact. Même les décors en extérieurs peinent à exister à l’écran. On ne sent ni la pierre, ni le soleil, ni l’usure. Pour une saga basée sur le voyage, l’exotisme et l’aventure, c’est quand même consternant.
De toute façon, et de manière plus générale, ce film se plie vraiment aux standards formels du moment qui consistent à ne considérer le spectateur que comme un enfant bouffeur de pop-corn. Plus on est bourrin, plus c’est bien. « Les gens ne sont pas prêts pour la subtilité », semble nous dire la réalisation cadenassée de James Mangold.
Le son est à lui seul révélateur de tout. Dans ce film, une gifle fait le même bruit qu’une porte qu’on enfonce ; qu’une voiture qui s’encastre dans un mur ; qu’un avion qui se crashe ; qu’une civilisation qui s’écroule.
Tout est démesuré, mais surtout tout est bruyant. Excessivement bruyant.
Rien n’est fait dans la mesure. Rien n’est fait dans une logique de sens. Parfois un espace se ressent avec du silence, de l’écho, de l’étouffement. Même chose pour une tension. Même chose pour un instant fort. Mais rien de tout ça dans Indy 5. Jamais. On claironne en permanence. Plus c’est fort, plus c’est bon. Même quand le film doit jouer intradiégétiquement de l’écho qu’il ne parvient pas à se taire. Il faut toujours qu’il y ait un fond musical, même s’il ne dit rien.
Et même chose pour l’image. Ça s’agite pour un rien. Ça te fout des parallaxes et des oppositions de mouvements entre cadre et objet partout et tout le temps. Ça coupe en permanence pour multiplier les plans. Ça gigote pour masquer le fait que les acteurs sont la plupart du temps assis sur des fonds verts. Ce n’est jamais assez dynamique, agité, nerveux.
Ce film est un gigantesque hochet qu’on nous secoue en permanence. Et ça brise absolument tout.
A cause de ça, chaque scène d’action tombe à plat. Censées apporter un petit coup de fouet (ho ! ho !) régulier à l’intrigue – comme dans les précédents épisodes en somme – ces scènes agissent au final à l’exact inverse.
De là, toutes les mauvaises étoiles finissent par s’aligner. Ce choix du retour aux fondamentaux qui est appréciable dans l’ensemble se révèle très vite pénalisant dans le détail.
On connait les motifs. On n’est surpris par pas grand-chose. D’un côté il y a ces acteurs qu’on nous a foutu là que pour faire du fan service et de l’autre il y a tous ces ages obligés qui font souvent plus office de clins d’œil que d’éléments structurants en soi.
Je pense notamment à toute cette scène dans la médina marocaine qui n’est pas sans rappeler celle des Aventuriers de l’Arche perdue.
Idem, le age dans l’épave romaine fait très Dernière croisade. On entendrait presque les scénaristes nous dire : « bon après les migales et les rats, ce coup-ci on vous a mis des murènes. »
Pareil, difficile de ne pas voir les mécanismes de l’oreille de Dionysos comme singeant ceux se déroulant au moment de la conquête du graal, dans cette même Dernière croisade, même si la scène fonctionne quand même globalement bien.
Et comme globalement, dans le fond, cet Indy 5 n’a pas grand-chose à dire de plus que ce que j’ai déjà pu signifier plus haut – ajouté bien évidemment aux habituels rajouts superflus imposés par Disney pour satisfaire sa grille de quotas – l’ennui s’installe vite. Les 2h37 deviennent très longues, si bien d’ailleurs que – tout un symbole – lorsque le point d’orgue et vrai point d’intérêt de ce film survient, ce qui aurait dû être une envolée se transforme en véritable flop.
Cette scène finale, au fond, elle résume tout.
Elle résume tout ce qu’aurait pu être ce film. Mais elle résume aussi ce à quoi le film se réduit en définitive.
Tout ce que cet Indy 5 contient de meilleur comme de pire se retrouve capturé dans ce moment.
On est bien dans l’esprit d’un Indiana Jones, certes. On joue pleinement sur le sentiment de vertige historique, et surtout on parvient à le faire en imposant une scène suffisamment singulière permettant à cet épisode de marquer de son sceau la saga de son identité propre…
…Mais malgré ça, tout tombe à plat. Ça tombe à plat à cause de cette réalisation dégueulasse, de cette musique pompière et de cette usure à voir des gens se déguiser ostensiblement en nazi.
Bilan, on était à deux doigts de voir un grand moment épique de cinéma. Au final on s’est coltiné un énième show visuel digne d’une série B.
Alors voilà. Au final, c’est triste, mais comme un terrible signe de la destinée, ce film aura été jusqu’au bout à l’image de son héros. Symbole usé d’une période flamboyante, la saga comme le personnage tirent sur la corde du déni, à grand coup de liftings numériques et d’aberrations formelles. Cherchant à nier le temps, l’histoire et la matière, on rejoue perpétuellement les mêmes schémas et les mêmes pirouettes, persuadés qu’elles auront la même saveur et la même profondeur qu’avant, ne prenant conscience que trop tardivement à quel point cette entreprise est absurde et ne fait que poursuivre des chimères.
Au mieux saura-t-on donc au moins reconnaitre cette lucidité à cet Indy 5.
Conscient du théâtre de pantomime auquel il participe, il s’excuse presque d’un salutaire aveu.
Il s’efforce d’ailleurs de tirer sa révérence en espérant qu’on saura respecter sa dernière volonté : celle qu’on lui foute une bonne fois la paix.
Pourtant, telle cette main allant chercher ce légendaire chapeau d’aventurier au tout dernier instant, on montre que personne au final n’est dupe de ce qui adviendra.
Indy ne sera mort que lorsqu’il ne rapportera plus un rond. Tant qu’on pourra en dégorger quelque chose on ne s’en privera pas.
Tels des pilleurs de tombes, la soldatesque de l’Oncle Walt sera prête à de tous les colifichets mystico-numériques pour ramener le professeur Jones d’entre les morts s’il le faut.
Car telle est notre époque, professeur Jones…
…Et malheureusement, telle est votre destinée.