A Paris, le long du canal Saint-Martin, se dresse la modeste façade de "l'Hôtel du Nord", établissement tenu par les époux Lecouvreur. Ce jour là, dans la salle du restaurant, règne la bonne humeur puisque l'on plaisante devant un bon repas de première communion. A l'étage Raymonde, une prostituée, et son homme du moment, le mystérieux Monsieur Edmond, n'ont pas été conviés. C'est alors qu'ils vont être entraînés dans les conséquences d'un événement complètement fortuit.
En effet Renée et Pierre, un jeune couple en mal de vivre, décident de louer une chambre pour la nuit afin d'exécuter le serment commun de se donner la mort. Au bruit d'un coup de feu Monsieur Edmond intervient. Renée semble morte et Pierre dans un sentiment de lâcheté s'enfuit. En fait la jeune femme n'étant que blessée, les époux Lecouvreur hébergent Renée et l'emploient. Dès lors les destins du jeune couple désespéré, de Raymonde et de Monsieur Edmond vont se mêler et changer l'existence de chacun.
Ce joyau de Marcel Carné, monument du cinéma français, procure un bonheur infini. Nous voici dans ce Paris presque insouciant des années trente, sur le bord de ce canal où, au rythme des péniches, se côtoient sur les bancs les amoureux et les solitaires.
Qu'elles sont belles ces réunions de famille autour d'une bonne table où se disent des vérités sur le ton de la plaisanterie et de l'ironie. Cet hôtel nous offre toute la vie et les portraits de ce petit quartier avec entre autres ses éclusiers et ses artisans ambulants, leurs cris se joignant à ceux des enfants. Et puis, bien sûr, il y a la fille de joie au grand cœur avec sa gouaille et son langage "savoureux" et son homme énigmatique avec son costume et son chapeau placé bas sur le front. Pourtant dans ce monde paisible dans lequel règne la joie de vivre parfois teintée de naïveté, la détresse surgit par l'intermédiaire d'un jeune couple désargenté, incompris des leurs et qui de ce fait n'attend plus rien de la vie.
Le désespoir frappe alors à la porte du petit hôtel et soudain le drame se noue puisque les derniers instants de ces deux infortunés sont sensés se jouer. Bien des déboires et bien des aventures vont pimenter l'existence de nos héros sur fond d'amour fort et de repentance pour les uns, d'émancipation et de regrets pour les autres, tout cela sous les flonflons d'un petit bal guilleret de quatorze juillet. Nostalgie, quant tu nous tiens...
Dans ce film, la magie s'opère par l'ambiance et les sentiments qui s'en dégagent, par les portraits des personnages, leur environnement et leur interprétation. Le sujet, bien que très romantique, paraît un peu secondaire. C'est tout l'art de Marcel Carné de réussir à nous éblouir simplement, sans artifices, dans un univers tout simple remarquablement filmé.
La splendide et réaliste reconstitution de ce quartier du canal fut réalisée en studio sous l'œil expert d'Jean-Pierre Aumont, ces amants désespérés, qui réussissent à se montrer crédibles et émouvants malgré une partition des plus conventionnelles.
Que dire de Jean Aurenche
Il y aurait encore tellement à dire sur cette œuvre remplie de petit détails drôles ou émouvants. Elle nous décrit la vie de tous les jours avec ses joies et ses peines, nous montre des personnages vrais dans des décors réalistes et splendides par leur simplicité. Certains diront peut-être qu'il s'agit d'un cinéma d'un autre âge et je réponds NON, car ce film est comme une symphonie, un monument, il est indémodable !
Ma note: 9/10