Lorsque je pense à Heat, mes sens paniquent. Ce film me donne l’impression d’avoir été réalisé dans le seul objectif de me satisfaire. Il n’y a pas une seconde du métrage qui ne sache flatter ma rétine, chaque nappe sonore me caresse ou m’électrise.
Certaines œuvres sont trop belles, trop parfaites pour les résumer ou les commenter. Tout au plus peut-on essayer de décrire leur invraisemblable réussite. J’aime sans doute trop ce film pour mon propre bien. Et s’il peut er quelques années sans que je ne le revoie, un nouveau visionnage en appelle immédiatement d’autres. Je retombe dans une spirale où il ne e pas un jour sans que j’y pense. Et je finis invariablement par le relancer, juste pour en apprécier la perfection et en décortiquer quelques séquences supplémentaires. Je l’ai dans la peau, dans les veines, depuis si longtemps.
En 1995, Michael Mann a inscrit son nom au panthéon des réalisateurs d’exception. Car Heat n’est pas seulement un excellent film, il est surtout devenu un véritable marqueur cinématographique. Depuis, plus une seule scène de braquage dans un métrage n’a pu éviter la douloureuse comparaison avec cette séquence mythique. Et c’est une ribambelle de réalisateurs qui ont rendu hommage au maître, avec plus ou moins de réussite ou de talent.
Mais Heat ne se résume pas à une séquence. Il est tellement plus que ça. Avant toute chose, il est la concrétisation du fantasme des années 90 de voir réunies à l’écran deux légendes. Al Pacino et Robert De Niro étaient déjà apparus dans le même film (Le Parrain II), mais sans jamais partager une seule scène. Et si Michael Mann entend offrir ce cadeau au spectateur, il ne compte pas le faire vulgairement ou sans que cette réunion ne devienne un réel enjeu du métrage. Les deux personnages se tourneront longtemps autour, se découvrant et s’analysant à distance, dans un crescendo d’une intensité rare pour le spectateur qui ne peut que trépigner.
Mann tient à son histoire et à ses personnages. Il les a soignés, il les a bichonnés. Ils ont tous une vie, un é, des aspirations. Si le film dure 2h50, c’est parce qu’il entend bien les laisser vivre à l’écran, les laisser se nourrir les uns des autres. Et si le développement de ces personnages trouve son point d’orgue lors de la rencontre entre Neil McCauley (Robert De Niro) et Vincent Hanna (Al Pacino), tous ou presque bénéficient d’un traitement approfondi. Et c’est toute la crédibilité de l’histoire contée et du métrage qui en bénéficie. Chaque rencontre complexifie les enjeux, alors que chaque ligne de dialogue ciselée rend limpides les trajectoires. Heat demande du temps à son spectateur, mais le gâte avec une écriture sans faille.
Sans outrance, par la magie d’un cadre ou d’un mouvement plein de sensualité, la caméra iconise ses deux personnages principaux, si semblables et différents à la fois. L’un est opiniâtre et volcanique, ionné et shooté à l’adrénaline quand l’autre est calculateur et froid comme un iceberg, méticuleux et paré à toute éventualité. Mais tous deux se donnent corps et âme pour atteindre leur objectif, sont prêts à sacrifier ce à quoi monsieur et madame tout le monde s’accrochent avant tout. Chez Mann, il n’y a pas de place pour l’amour. Ses personnages n’y ont pas droit. Quand l’un fusille sa vie de couple par un engagement professionnel qui le dévore, l’autre réduit sa vie à un mantra qui ne peut que condamner toute relation. Entre ion et raison, ils ont tous les deux choisi. Et chacun trace une voie qui ne peut que les conduire à se croiser et s’opposer. C’est avec autant de conscience que d’amertume qu’ils se reconnaissent l’un en l’autre, qu’ils se respectent et qu’ils se regrettent quand l’un l’emporte finalement.
Car c’est aussi la tragédie de cette rencontre, la destinée de l’un est nécessairement liée à l’autre. Quand l’un fuira, l’autre le traquera. Il est un flic acharné, il est un voleur doué. Ils le savent tous les deux, il y aura une seconde rencontre, sans possibilité de se quitter bons amis.
Heat excelle à narrer une histoire universelle mais crépitante, dans une atmosphère romantique et crépusculaire, aux enjeux simples mais qui sont tellement palpables. Les choix des personnages ne dépendent jamais du besoin fonctionnel de faire avancer l’intrigue, ils sont toujours cohérents et compréhensibles.
J’aime Heat au-delà du raisonnable, sans doute parce que Mann aime ses personnages, qu’il les a travaillés pour qu’ils deviennent deux faces d’une même pièce. J’aime Heat, car j’y vois une finesse d’écriture que je peine à retrouver ailleurs.
Je pourrais écrire des tartines sur l’origine du métrage (remake du téléfilm L.A. Takedown, déjà réalisé par Michael Mann), sur la magnificence de ce monstre tortueux qu’est Los Angeles, sur l’incroyable crescendo final, sur les sous-intrigues superbement imbriquées en toile de fond qui donnent toute sa cohérence à l’univers dépeint, sur la galerie de personnages secondaires qui permet d’étoffer la personnalité des protagonistes principaux, sur la maîtrise de la tension, sur la couleur bleue chez Mann...
Et je crève d’envie d’évoquer ce age obligé de toute critique sur ce film, cette séquence de braquage millimétrée qui vire au carnage aveugle dans les rues. L’absence de musique, les coups de feu assourdissants qui claquent et résonnent, le regard froid de Mann qui change sur ces voleurs. C’est une démonstration de puissance qui galvanise autant qu’elle altère les sens, qui terrorise autant qu’elle rend au centuple ce que le spectateur espérait. Un moment de légende, dans un film mythique.
J’ai beau chercher, depuis 1995, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un métrage dans ce registre qui en donne autant, avec un tel degré de qualité, un tel niveau de finition.
Mais plutôt que de développer, je vais vous laisser là-dessus et m’y replonger une nouvelle fois. Certainement pas la dernière.