Happy Hour ou Senses, le regarder permet de cocher la case "voir le film japonais le plus long de l'histoire". Oui, en effet, c'est un beau morceau qui dure cinq heures et dix-sept minutes. Mais les 317 minutes ent sans problème.
Parce que d'abord, le cinéaste Ryusuke Hamaguchi a une patte originale à laquelle j'adhère. Il pousse très loin le réalisme de son univers. On voit le jour décliner au fur et à mesure qu'un atelier avance, on suit un personnage dans un bus avec les bruits et les secousses qui vont avec, on discute de la même manière avec un inconnu ou une vague connaissance en étant placé de la même manière dans le véhicule, on entend le bruit léger de la pluie sous un abri en bois. Donc on finit tout de suite par éprouver des sensations qui nous sont familières parce qu'on les a déjà forcément vécues. L'ensemble justifie pleinement sa durée par cette immersion.
Ensuite, parce qu'on a quatre portraits de femmes très bien croqués, joués par quatre comédiennes épatantes, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'actrices professionnelles. Cela ne dessert nullement leur jeu et cela ne fait que rendre encore plus vrais les gestes du quotidien qu'elles exécutent. Trois femmes, assimilées aux codes de la société, qui vont remettre en question ces derniers et se remettre en question tout court lorsque la quatrième du groupe disparaîtra volontairement, devenant ce qui est appelé au Japon une johatsu, une évaporée. Il suffira de cette étincelle pour qu'elles regardent autrement certaines choses et pour être poussées, en conséquence, à ne pas les accepter. Des petites choses qui n'ont l'air de rien, qui n'ont pas l'allure des grandes injustices bien visibles et bien crasses, qui semblent acceptables et qui n'en sont que plus redoutables.
Ryusuke Hamaguchi propose ici une expérience filmique et sensorielle qui vaut sacrément la peine d'être vécue. Donc si vous avez 317 minutes de libre dans votre emploi du temps, n'hésitez surtout pas.