Difficile de dire si David Fincher est un génie ou juste un excellent faiseur. Déjà chef d'orchestre de neuf long-métrages, l'homme aura su toucher à tous les genres : le polar, la science-fiction, le drame, le huis-clos, le film juridique. Fincher est aussi un cinéaste qui a beaucoup évolué, partant de premiers pas à l'ambiance sale et glauque (Seven, Fight Club) et se dirigeant peu à peu vers des thrillers à la mise en scène chirurgicale, épurée, très posée, millimétrée (on sait l'homme capable de retourner plusieurs dizaines de fois une scène pour atteindre une perfection qui semble l'obséder). Déjà avec Zodiac et The Social Network, le réalisateur avait su prouver l'accomplissement de sa forme et de son fond - pourtant en apparence similaire à ces deux films (mais comme on n'arrête pas de nous le répéter, "Les apparences sont souvent trompeuses"), Gone Girl se révèle bien différent de ses prédécesseurs.
Non, Fincher n'a pas pris un virage, mais il a su se renouveler. Gone Girl n'est pas ce qu'il semble être - film pluriel, mélange des genres, des tons, des thèmes, jeu de dupes malin et imprévisible effectué sur le spectateur. Il est aussi surprenant, tant dans son intrigue que dans les directions formelles prises par Fincher. Le réalisateur s'amuse, il nous mène en bateau, redéfini les impressions, les sensations que l'on pourrait avoir ou prévoir en se lançant dans le visionnage d'un tel objet. On pense à Zodiac, pour cette enquête imprégnée de fausses pistes, à Le Limier, pour ce duel manipulateur, ou encore aux Noces Rebelles, pour ce regard pessimiste et tragique sur la relation de couple, et principalement sur l'institution du mariage. Et ce même si le message le plus évident de Gone Girl reste son analyse acerbe de notre culte moderne de l'image, l'importance et la déification des apparences pour cacher notre vrai visage.
Il n'y a aucun temps mort, aucun relâchement narratif - les idées fusent, les acteurs brillent. Ben Affleck est saisissant, mais c'est surtout Rosamund Pike qui impressionne - véritable révélation du film et possible Oscar en devenir. Fincher a toujours été un magnifique directeur d'acteurs, sachant faire ressortir ce qu'il y a de meilleur dans chacun d'entre eux : la distribution est parfaite. Comme toujours, elle est aussi étonnante, mais force est de constater qu'il n'y a pas une seule fausse note.
Jusque dans ses dernières secondes, Gone Girl est un coup de maître. A la fois puissant, complexe, intelligent, drôle et déstabilisant - on e par tous les états, par toutes les émotions. Certes, le matériel original de Gillian Flynn est sans aucun doute l'une des raisons de ce succès, mais Fincher porte à merveille le roman à l'écran. La qualité du cadre, du montage, de la construction méthodique et brillante de la mise en scène - c'est impressionnant, en impose un certain respect, une véritable iration pour ce qui est sans aucun doute l'un des réalisateurs les plus talentueux du XXIème siècle.
Chasse au trésor piégée, jeu d'illusions, de fausses pistes, aboutissement épatant d'un artiste complexe et malin, Gone Girl est un film qui laisse bouche-bée. Au-delà de son humour noir savoureux, de la qualité de ses interprètes, de l'excellente bande-originale de Trent Reznor et Atticus Ross, le dernier né de David Fincher est une claque scénaristique et scénique - à l'image de son final, mystérieux et surprenant, mais pourtant d'une logique implacable, Gone Girl tient tous les éléments pour faire frissonner, voyager et piéger le plus inoffensif du spectateur. Du grand cinéma par un grand cinéaste, que demander de plus ?