Dans le flot incessant des documentaires judiciaires, rares sont ceux qui parviennent à toucher aussi juste que Gideon’s Army, réalisé par Dawn Porter en 2013. Ce film, que je note sans hésiter 9,5/10, m’a profondément marqué. Pas seulement parce qu’il est bien réalisé — il l’est —, mais parce qu’il met en lumière une lutte souvent invisible : celle des jeunes avocats commis d’office qui défendent, jour après jour, les laissés-pour-compte du système judiciaire américain.
Dès les premières minutes, le ton est donné. Pas d’artifice. Pas de sensationnalisme. Juste la réalité, filmée avec une pudeur rare. On suit de jeunes avocats dans le Sud des États-Unis, qui consacrent leur vie à défendre ceux que personne ne veut défendre — souvent sans moyens, souvent sans espoir.
Ce sont eux, les soldats de l’« armée de Gideon », en référence à la célèbre décision Gideon v. Wainwright qui garantit un avocat à tout accusé, même sans ressources. Une décision fondatrice qui, dans les faits, peine encore à se concrétiser pleinement.
Ce qui rend ce documentaire si puissant, c’est son ancrage profondément humain. On ne parle pas ici de chiffres, de théories ou de procédures. On parle de visages. De regards. De fatigue, de colère, d’obstination. On voit des avocats jeunes, ionnés, souvent à bout, mais qui tiennent bon, parce qu’ils croient que chacun mérite une défense digne.
Dawn Porter filme cette réalité avec une justesse irable. Sans voix off écrasante, sans mise en scène artificielle. Elle capte les silences, les hésitations, les moments de doute. C’est un cinéma du réel, sobre, mais d’une efficacité redoutable.
Le film n’accuse pas frontalement, mais il expose. Et ce qu’il montre est glaçant : des prisons surpeuplées, des procédures expéditives, des prévenus qui croupissent en détention préventive faute d’avocat ou de moyens. Et au milieu, ces avocats, qui acceptent des salaires dérisoires, des horaires intenables, et une pression constante.
Mais ce que j’ai trouvé le plus fort, c’est que jamais ces avocats ne se posent en héros. Ils doutent. Ils craquent. Mais ils continuent. Parce qu’abandonner signifierait abandonner des vies. C’est cette force tranquille, cette dignité dans l’ombre, qui m’a bouleversé.
Gideon’s Army n’est pas un documentaire pour "comprendre" le système judiciaire. C’est un documentaire pour ressentir ce qu’il fait à ceux qui le vivent au quotidien. Et c’est peut-être encore plus fort. En tant que spectateur, on ne sort pas indemne de cette immersion. On ressort ému, révolté, mais surtout conscient — et c’est sans doute là le plus grand mérite de ce film.
Un documentaire essentiel, humain et engagé. Une œuvre sobre, mais percutante. Et surtout, un vibrant hommage à ceux qui choisissent de défendre la justice, même quand tout semble perdu.