Énorme succès lors de sa sortie en salles en 1990 et grand classique du cinéma fantastique aujourd'hui, Ghost reste surtout connu pour la romance au centre de son intrigue fantastique, la prestation de son trio d'acteurs principaux, sa musique inoubliable de Maurice Jarre (dont la chanson Unchained Melody des Righteous Brothers) et bien sûr sa scène culte de la poterie à quatre bras, alternative intelligente à la classique scène d'amour et métaphore de la relation fusionnelle liant les deux amoureux.
Il se pose ainsi comme un des films les plus connus issus de son époque, au sein d'une industrie hollywoodienne alors friande de fantastique depuis les succès des productions Amblin (à noter que Spielberg fera lui aussi son Ghost avec Always, sorti la même année et ne remportant pas le même succès). Les fantômes étaient alors franchement à la mode (la sortie de SOS Fantômes 2 et Always) et la production de Ghost tenait sur un casting de jeunes vedettes : Patrick Swayze s'était fait connaître dans Outsiders, Youngblood, Road House et surtout Dirty Dancing, Whoopi Goldberg dans La Couleur poupre et Jumpin' Jack Flash, Demi Moore, outre ses rôles dans une poignée de films, n'était pas encore une star, et Tony Goldwing se faisait ici connaître, parfait dans son rôle ingrat de "faux ami" que l'on aime détester. Ne souhaitant pas se cantonner aux films parodiques qui ont lancé sa carrière (les très ZAZ Y a-t-il un pilote dans l'avion ?), Jerry Zucker se recyclait ici en cinéaste plus respectable, adaptant avec brio un script en or écrit par le scénariste Bruce Joel Rubin, oscarisé pour ce film.
Il convient alors de s'arrêter sur l'œuvre du scénariste, lequel reste principalement connu pour avoir écrit et vendu les scripts de L'Échelle de Jacob et de Ghost dans la foulée. Soit une intrigue fantastique à la limite de l'horreur et une autre plus grand public. Ces deux scripts seront d'ailleurs adaptés durant la même période mais les deux films ne connaitront pas le même succès. Si Ghost avait tout pour séduire le public comme par exemple E.T. l'extraterrestre en son temps (un concentré d'émotions et de bons sentiments, et un message ultra-positif à l'appui), L'Échelle de Jacob, réalisé par Adrian Lyne, se rapprochera du four injustifié d'un The Thing (thématique de la dissolution de l'identité mise à part, les deux films sont presque aussi noirs et désespérés l'un que l'autre).
Aussi, il est intéressant de revoir Ghost dans la foulée de L'Échelle de Jacob (ou vice versa) tant les deux œuvres trahissent la même signature. Les deux films partagent bon nombre d'éléments thématiques et conceptuels, qu'il s'agisse du cadre new yorkais sordide, de la vision du métro new yorkais comme purgatoire de l'au-delà, de l'épreuve du deuil et de la reconstruction difficile qu'il laisse aux proches. Qui plus est, l'idée de la machination, tant fantasmée par Jacob Singer, devient dans Ghost une réalité ourdie par un ami aussi lâche que cupide, véritable stéréotype du banquier sans morale motivé par l'appât du gain. Surtout, les deux films mettent en scène un protagoniste mort (ou mourant) qui appréhende difficilement sa condition de défunt et se perd, consciemment ou non, entre deux mondes : toujours attaché à sa vie, le défunt refuse de "monter" au paradis. Outre la symbolique chrétienne évidente des deux films (le fantôme du métro dans Ghost est coincé dans les limbes car il est sous-entendu qu'il s'est suicidé; quant au sort des "méchants", il semble peu enviable), c'est surtout leurs thématiques communes qui lient les deux films, la différence se trouvant dans leur approche du thème de la mort : L'Échelle de Jacob est un film psychologique dont l'intrigue entière, à la structure atypique, est construite sur la base de son twist final, là où Ghost est moins complexe, fondamentalement romantique et donc plus grand public. Très proche de la thématique principale du Starman (1984) de John Carpenter, son intrigue linéaire reste plus facile à appréhender par tous.
Il y a donc fort à parier que Bruce Joel Rubin a donc eu moins de difficultés à vendre son script de Ghost que celui de L'Échelle de Jacob, s'il ne l'a carrément pas écrit comme une variation plus pop du second afin de vendre l'un grâce au succès de l'autre.
Ghost est donc de ces films qui traduisent l'importance d'un bon scénario et d'une identité d'auteur derrière le script d'un film (un peu comme Ed Neumeir avec Robocop et Starship Troopers). Alternant avec maestria humour (l'apport de Whoopy Goldberg et son duo avec Swayze n'est pas négligeable), noirceur (l'ambiance sordide du Brooklyn du début des années 90 et les visions de ténèbres rampantes) et émotion (cette musique...), le film aligne les bonnes idées (la confusion sur la séparation du corps spirituel de Sam et de son corps physique, le fantôme apprenant à interagir avec le monde physique par impulsions) ainsi que les scènes mémorables, et confine au sublime avec son histoire d'amour contrariée qui se poursuit par-delà la frontière séparant un défunt de celle qui le pleure. L'intrigue recycle et détourne habilement les poncifs des films de fantômes (ici ce ne sont plus les manoirs mais les wagons qui sont hantés) et élabore une mythologie plus urbaine et moderne, renvoyant ironiquement le rôle du médium, seule interface entre les deux mondes, à une charlatan. Peter Jackson et Fran Walsh s'en souviendront lorsqu'ils écriront Fantômes contre fantômes (The Frighteners) six ans plus tard.
Qui plus est, dans sa description d'un homme voulant retrouver sa bien aimée par-delà la mort, Ghost perpétue le mythe d'Orphée et le renverse, faisant ici du héros, le mort, souhaitant sauver son aimée et lui dire une dernière fois au revoir. Là encore, on pourra penser au roman Au-delà de nos rêves de Richard Matheson, publié en 1978, et à son adaptation ciné éponyme réalisée par Vincent Ward en 1998.
Classique cinématographique indémodable, Ghost appartient aujourd'hui à ces quelques films qui, bien qu'imparfaits (on lui trouvera quelques petits raccourcis un peu facile), ont durablement marqué leur époque jusqu'à rapidement obtenir une aura culte. Il est de ces rares films qui s'adressent à un large public sans négliger pour autant la qualité de son propos : par sa diversité de tons et son message universel, Ghost parle tout autant aux incorrigibles romantiques qu'aux spectateurs amateurs d'humour ou avides de visions fantastiques. Ajoutez à ça une chanson légendaire (Unchained Melody) et un couple de cinéma inoubliable (plus le duo Swayze/Goldberg) et vous comprendrez pourquoi le film n'a rien perdu de son pouvoir de séduction, plus de trois décennies après sa sortie. De quoi apprendre à répondre à tous : idem.