Fotogenico
6.2
Fotogenico

Film de Benoît Sabatier (2024)

Punk is (not) dead

Marcia Romano, connue et reconnue tout autant pour son travail en tant que créatrice mais aussi en tant que collaboratrice en matière d’écriture scénaristique (de Sous le Sable à Vingt Dieux, en ant par Adieu Les Cons ou encore L’Évènement) s’octroie parfois une parenthèse pour coréaliser des longs-métrages aux côtés du journaliste musical Benoît Sabatier. À eux deux, ils s’essaient à une autre forme de cinéma, plus musicale, plus créative, plus barrée aussi, mais en plongeant néanmoins dans des univers bel et bien conformes à la réalité. À l’image de ce Fotogenico qui pénètre de plain-pied dans l’univers musical underground sévissant aux quatre coins de notre pays, mais qui reste le plus souvent sous silence pour mieux accentuer des projets musicaux bien plus commerciaux. Et ils ont choisi Marseille pour sa mouvance musicale actuelle, à 100 000 lieues du rap d’IAM ou celui de Jull. C’est la scène électronique qui intéresse le duo, mais pas celle de la techno ou du hardcore, non, plutôt celle du mouvement punk actuel, très différent de celui des années 1970, autant dans le fond que dans la forme. La seule chose qui reste conforme, c’est la dépendance à la drogue, au sexe et bien sûr… à la musique.

Le plus souvent présenté comme une comédie, Fotogenico n’en est foncièrement pas une. C’est plutôt un regard sur la jeunesse actuelle, juste, franc, débordant d’ingéniosité face à une forme de perdition, de courage, de volonté et d’humanité analogue. Une partie de la jeunesse du XXIe siècle y est parfaitement dépeinte, dans sa volonté à s’en sortir, à se débattre dans un monde capitaliste qui empoisonne littéralement son existence, sa joie et sa débordante créativité. Nous sommes à 100 000 lieues ici du cinéma français traditionnel, foncièrement embourgeoisé malgré la plupart de ses périples scénaristiques. So, welcome in the reality.

Raoul débarque à Marseille où sa fille, Agnès, est morte. En tentant de recoller les morceaux, il découvre que tout ce qu’elle lui avait raconté de sa vie s’avérait être de fieffés mensonges. En lieu et place d’un stage chez un notaire, Agnès aurait visiblement enregistré un disque avec un groupe de filles avant de périr d’une overdose. Raoul se met alors en tête de remonter le groupe…

Orné d’electropunk, musique sévissant actuellement au sein de la scène musicale underground, Fotogenico se dresse littéralement à l’opposé du pitoyable et pénible Banger, avec Vincent Cassel, qui espère sûrement satisfaire son audience Netflix avec la présence fugace de Justice ou de leur producteur Pedro Winter, sûrement les personnes les moins intéressantes, artistiquement parlant, mais néanmoins les plus reconnues au sein de la planète electro actuelle de par leurs brillantes compétences en matière de marketing. Finalement, un véritable désastre artistique prôné par le grand public qui suit tout simplement les mouvances populaires.

Fotogenico, quant à lui, se déroule ailleurs, dans une forme d’addiction nettement moins consumériste, mais s’avérant tout autant un défouloir face au mal-être d’environ 50% de la jeunesse actuelle. Le film, en ce sens, soulève un véritable propos, un vrai problème sociétal en phase avec un incontestable besoin de se défoncer pour mieux subir le mal-être ambiant. Et en ce sens, Marcia Romano et Benoît Sabatier semblent pertinemment analyser la situation, bien que le sujet ait été abordé des milliers de fois sur des écrans de cinéma par le é. Mais le duo se concentre réellement sur la jeunesse d’aujourd’hui, zappant tous les stéréotypes illusoires dans lesquels d’autres cinéastes se fourvoient habituellement. Malheureusement, c’est cette peu intéressante tendance qui plaît actuellement aux cinéphiles, car Fotogenico n’a foncièrement pas été un succès commercial, se voyant mal distribué malgré sa sélection cannoise en 2024. Pourtant, le film reste certainement l’un des meilleurs longs-métrages francophones produits cette année-là.

Avec Roxane Mesquida dans le rôle d’une roller-girl totalement paumée, Angèle Metzger en disquaire lesbienne blasée, Christophe Paou en père lessivé découvrant les vices cachés de sa fille décédée et John Arnold (que SensCritique déclare tréé, le confondant avec son homonyme horloger, effectivement décédé à Eltham en… 1799 😁) en dealer et fanatique rédactionnel de sa propre existence, l’œuvre nous mène aux confins des problèmes sociétaux d’une large frange de la jeune population française qui survit comme elle le peut, entre addictions sous-culturelles et névroses pathologiques.

Mais le sujet principal du film reste néanmoins le deuil et la manière dont le père d’Agnès, quinquagénaire, souhaite rendre un dernier hommage à sa fille décédée un an plus tôt. Et si le duo de réalisateurs souhaite également démontrer combien la population marseillaise se féminise depuis quelques années, il n’en reste pas moins que le scénario prodigue excellemment cette métamorphose urbaine. Le film se voit ainsi baigné par une forme de choc générationnel où le capitalisme pur et dur n’a plus vraiment d’importance aux yeux d’une jeunesse où la liberté semble bien plus importante que la réussite sociale. Même si le chemin reste jonché de dangers liés à la consommation de drogue.

En s’inspirant de la photogénie des comédies italiennes des années 1960 et 1970 (des affiches du genre sont par ailleurs disposées un peu partout chez les protagonistes, dont celle de Sono Fotogenico réalisé par Dino Risi en 1980), le duo de cinéaste met à profit sa propre culture cinématographique et musicale tout en utilisant la définition de la photogénie pour célébrer la beauté des personnages. Quant à l’excellent album enregistré par Agnès et ses copines (intégralement composé par le duo Froid Dub, à l’instar de la B.O. du long-métrage, tout en faisant appel à Emma Amaretto du génial groupe Catalogue pour les parties vocales), il se métamorphose forcément en une sorte de symbole sacré et fétichisé dans le cœur de Raoul, en constante recherche de vérité face à la personnalité de sa fille. Le tout reste d’une modernité sans fard et fait un bien fou face à la désastreuse déconsidération que le cinéma français actuel s’auto-inflige.

Merci Marcia ♡ Merci Benoît ♡

Merci Roxane ♡ Merci Angèle ♡ Merci Christophe ♡

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le 6 mai 2025

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candygirl_

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