Cutterhead est un grand film sur le lien social entre les individus européens. Par son dispositif, il rassemble deux mondes qui normalement ne se rencontrent jamais : les ouvriers étrangers contraints de travailler dans des conditions dangereuses pour subvenir aux besoins de leur famille, la journaliste danoise soucieuse de mener à terme son interview pour faire les gros titres dans la presse. Et cette rencontre se place sous le signe du souterrain et de la cruauté : la menace ne vient pas des deux hommes à l’égard de la femme – présupposé que nous pouvons avoir au début – mais de la femme qui ne se préoccupe que de sa survie, de son confort. Elle vide les bouteilles d’eau, s’approprie le masque, tente d’enfermer les deux ouvriers dans leur petit espace confiné ; son comportement, fidèle à l’instinct de survie mené au détriment des autres, symbolise également une attitude européenne politique vis-à-vis des immigrés, soit la propension à exploiter leur ressources, à profiter de leur détresse pour vivre quoi qu’il puisse arriver.
L’affrontement dernier prend aussitôt des allures abstraites : deux corps se disputent l’oxygène, deux corps également sales et étouffés, deux corps raccordés à un même besoin. C’est dire que l’horreur de la situation sert une harmonie recouvrée que la clausule laisse en suspens, fragile, incertaine. Les fameux « critères de Copenhague » ont été ébranlés, l’humain a triomphé. Mais qu’adviendra-t-il, après ? Un point d’interrogation. La mise en scène de Rasmus Kloster Bro sait construire un climat oppressant et réussit à investir un espace confiné de petite taille pour y rejouer un destin européen plus grand. Voilà donc un long métrage qui aborde le cinéma de genre sous un angle social, qui se saisit de l’infiniment étroit et modeste pour parler de l’Europe contemporaine, de la même façon que Gravity (Alfonso Cuarón, 2013) partait d’une station spatiale internationale pour arriver à une renaissance humaine.