Premier long de Michael Shannon, et l'adaptation d'une pièce semble un bon choix pour débuter à la réalisation.
Pour le cuisto junior, peu de risque de louper le gratin quand la recette est déjà éprouvée, en particulier quand tout repose sur un ingrédient principal (les dialogues), déjà travaillé.
Mais alors qu'est-ce que le chef nous concocte de beau dans ce film?
pour faire court:
- Au niveau de l'histoire, c'est bien long pour raconter peu de choses.
- Si la lenteur participe à poser une ambiance lourde, (qui m'a rappelé First Reformed entre autres) cette cuisson à feu ultra-doux ressemble à un cache-misère, car on n'a pas lourd à se mettre sous la dent. Peu de scènes marquantes, peu d'enjeux. Le ventre gargouille sec.
- Bonnes performances de la part de tout le monde. Heureusement d'ailleurs, sinon ça sent le cramé. En plus du tandem principal, on retrouve le pote Paul Sparks qui a souvent collaboré avec Shannon, et des seconds rôles assez solides en accompagnement.
- Mise en scène assez pauvre. Sobriété pour coller aux thèmes ou manque de créativité du chef? La encore il y a de quoi rester sur sa faim. Il y a un petit travail sympathique avec le flou et la mise au point au début, mais rien de bien transcendant par la suite. Plans fixes, couleurs grisâtres, décors minimalistes : tout ce qu'il faut pour bien se faire ch!er en attendant le dessert. Comme dirait Etchebest, la présentation ne fait pas rêver. Au niveau de la musique je vous laisse juger : je pense qu'on a déjà soupé de ce genre de partitions.
- Le grand personnage du film c'est ce quotidien morose qui pèse sur des gens boiteux qui se refilent le malaise social de façon épidémique, et dont ils ne peuvent s'échapper. Chacun cherche à gérer son petit merdier intérieur, et rares sont les palliatifs à la triste prise de conscience que la vie est merdique : Jésus, Jésus, et encore Jésus, c'est tout ce que vous avez au menu de la cantine, menu unique. A ce niveau là ça fonctionne : le spectateur peut bien ressentir qu'il n'y a de miracles que dans les fantasmes des personnages, et jamais au détour du chemin. Pas faute d'essayer, la bonne volonté ne suffit pas. Dure réalité.
Mais le plus gros défaut est probablement que les thèmes à priori principaux sont peu explorés. Le récit va vraiment s'attarder à montrer la souf et la peine ressenties par les personnages, victimes directes ou collatérales du drame, OK ça fonctionne bien. Mais il ne faut pas s'attendre à comprendre les mécanismes psychologiques à l'oeuvre, ni à assister à une véritable réflexion sur le sujet de la gestion de la culpabilité et du ressentiment post-trauma. C'est malheureux car le pitch laisse espérer ce genre de développement, qui est à peine esquissé, et toujours via le dialogue, jamais à travers une action ou un symbolisme narratif. A ce niveau là, le titre du film et le traitement du sujet me semblent mal coordonnés. Tromperie sur l'intitulé du plat?
Il y a deux enjeux : visiter le fils, et participer à la réunion. Si Shannon nous fait un peu plus saliver avec les réunions, en revanche pour la visite de prison c'est trop maigre, je pense qu'il aurait pu insister là dessus au début pour créer une vraie attente. Et pour chaque pay-off existant, on n'a droit qu'à quelques lignes de dialogue.
Au niveau intrigues secondaires : le petit "flirt" du mari ne débouche sur rien, sa lente épiphanie ne débouche sur rien, le pasteur (Sparks) échoue et c'est tout, les mères coupent court aux réunions et c'est tout, on ne sait même pas vraiment ce que la mère tire de tout ça, la deuxième paroisse ça ne débouche sur rien, la vie du couple sent le roussi mais on n'en saura pas plus. Pour l'arc du couple, je me suis plusieurs fois dit qu'un couple avec une telle différence de croyance était peu probable donc je n'ai pas été très investi malgré les bons acteurs. Donc en gros : rien ne débouche sur rien, tout le monde est dans la même merde qu'au départ. J'imagine qu'on est censé, tout comme les personnages, créer du sens à partir de ce qu'on a dans l'assiette.
C'est dommage.
On a donc un frigo rempli d'ingrédients pas dégueu en manque de recette originale, et un nouveau chef pour concocter un repas sympa digne de lâcher son petit Alhamdoulilah de sortie de table. Mais la mayo ne prend pas : le mec a oublié de mettre du poulet dans la césar, et le service était interminable.
J'aime bien Shannon, c'était bien tenté, mais un dîner loin d'être parfait.