Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon fait parti de mes classiques, de ces films que le temps n’altère pas, tant les propos restent tristement d’actualité. A chaque fois, je le découvre d’une manière différente, tant ces thématiques sont riches et nombreuses. Surtout, c’est une œuvre qui m'a ouvert au cinéma italien et permis de découvrir la filmographie d’Elio Petri ainsi que celle de son acteur fétiche Gian Maria Volonté.
Au commencement
Il Dottore (Gian Maria Volonté) rend visite à sa maîtresse Augusta Terzi (Florinda Bolkan). Durant leurs ébats, il l'assassine puis laisse des pièces à conviction sur le lieu de son crime, avant de se rendre à son travail ou c’est son dernier jour comme commissaire à la criminelle, avant de prendre la direction du bureau politique.
Au-dessus des lois
Le personnage interprété par un impressionnant Gian Maria Volonté, d’un magnétisme troublant, n’a pas d’identité. On l’appelle Il Dottore (le docteur) ou commissaire. C’est un représentant de la loi. Il se croit au-dessus de celle-ci, persuadé de pouvoir commettre un crime en toute impunité. Au point de laisser des indices, de retourner sur le lieu du crime et de se jouer des enquêteurs soumis à son oppressante présence. C’est un homme imbu de lui-même, d’une extrême arrogance.
De commissaire à la criminelle, il prend la direction du service politique. A sa prise de fonction, il livre un discours digne de Benito Mussolini, le concluant par ses mots "la répression est notre vaccin! La répression est la civilisation!". Il se révèle être un orateur charismatique sachant galvaniser ses troupes. On lui octroie les pleins pouvoirs, ce qui lui permet d’agir à sa guise. Il se présente en tant que protecteur des citoyens.es, en dernier rempart contre les fléaux que sont le communisme, le marxisme ou le maoïsme, qui sont en train de perturber l’équilibre social de son Italie fasciste.
Il veut tout contrôler, en mettant en place des écoutes illégales, faire de chaque individu un indic et étouffer la moindre tentative d’opposition d’une jeunesse dite révolutionnaire.
Les rapports (in)humains
Les rapports de force entre les hommes, avec leur irrépressible besoin de domination afin d'être désigné comme le mâle alpha, est aussi omniprésent auprès des femmes.
Le commissaire entretient des rapports morbides avec sa maîtresse, avec laquelle il reproduit des scènes de crimes lui procurant une forte excitation. C'est au travers de flashbacks, que nous en découvrons la teneur. La relation est malsaine. Elle aime son autorité lui rappelant son père. Elle lui réclame un interrogatoire pour subir sa violence psychologique puis physique afin de redevenir l'enfant qui était sous le joug du père.
Le commissaire ne parle pas. Il vocifère, tel un chien prêt à mordre. Il manipule ses collègues, comme la presse. Biglia (Orazio Orlando), un enquêteur, s'oppose doucement à lui, le soupçonnant d'être l'auteur du crime. Le commissaire avoue son crime à un homme au hasard dans la rue, qu'il remarque à son aspect peu avenant. C’est un plombier, ce qui le place socialement sous lui et lui permet de faire preuve de son autorité et domination, de continuer à démontrer qu'il est un citoyen au-dessus de tout soupçon, surtout au-dessus des lois, un intouchable. Il use et abuse de son pouvoir pour réaffirmer sa virilité remise en cause par sa maîtresse, afin de se rassurer car, malgré les apparences, l’homme manque de confiance en lui.
La dispute avec sa maîtresse démontre l'image qu'il a de lui-même. Il clame avec virulence qu'il est un homme respectable représentant le pouvoir et qu'elle devrait baiser le sol qu'il foule. Une dispute qui va tourner au règlement de compte. Il se retrouve comparé à un jeune et beau révolutionnaire, ce qui l'exècre au plus haut point, avant de se faire rabrouer comme un enfant, modifiant le rapport de force.
Le grand échiquier
L'œuvre se déroule dans une Italie toujours sous l'influence de l'héritage mussolinien. Un pays secoué par des turbulences sociales, qui se reflètent dans le rapport de force entre le commissaire et sa maîtresse.
Dans l’ombre, les hauts responsables continuent d'œuvrer pour préserver leurs privilèges. Ils placent leurs “hommes” dans des sphères d’influences et stratégiques. Le commissaire tente de se repaitre de ses péchés auprès de son excellence, afin de soulager sa conscience, comme la mafia auprès de l’église. Mais, il ne s’appartient plus. Il est un de leur pion, tel une pièce sur l'échiquier.
Le film se conclut sur une citation de Franz Kafka “Quelque impression qu’il nous fasse, il est le serviteur de la loi. Il appartient à la loi et échappe au jugement humain”. Elle résume parfaitement le propos de cette œuvre critique de la société italienne.
Enfin bref…
C’est un des plus grands rôles de Gian Maria Volonté. Il est en adéquation avec à son militantisme, qui va se confondre au fil des décennies avec l’acteur, se servant du septième art comme d’une tribune pour dénoncer les travers de la société italienne. En 1971, il retrouve le réalisateur Elio Petri pour un autre pamphlet, La Classe ouvrière va au Paradis.
Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon est une œuvre pleine de cynisme, qui reste d’actualité, prenant le pouls d'une société fasciste où la police tue, au mépris des lois.