D'avantage qu'un film, avec Emilia Perez (2024), Jacques AUDIARD nous propose un véritable opéra. Une œuvre qui recèle en elle autant d'un lyrisme spectaculaire que d'un foisonnement frisant l'excès. Or tout du long du film, on se promène sur cette frontière ténue entre caricature outrancière et pleine maîtrise de son sujet.
Cet exercice pour le moins acrobatique confère au film une puissance rare qui personnellement m'a conquis et fait er deux des heures les plus inouïes que j'ai pu er dans une salle de cinéma depuis très longtemps.
Emilia Perez est iconoclaste, insolent, ébouriffant, virtuose, transcende les genres, rompt les lignes pour un spectacle total et magistral. Il ne se contente pas qui plus est de briser les attendus que par une mise en scène foisonnante, parfois maladroite mais toujours généreuse ou par des effets de vidéo clip indigestes, mais il le fait également dans son récit.
D'avantage que le personnage, remarquablement écrit de Emilia Perez, c'est le personnage incarné par la surprenante Zoe SALDANA de Rita qui est au cœur du dispositif de narration. Avocate encore pétrie d'illusions quant à sa mission d'ordre sacerdotale, la perversion alliée à la corruption généralisée des instances sensées être le socle sur lequel est bâtie la société vont très vite lui rappeler l'aspect utopique de sa foi en ce système et en quoi ses valeurs sont chimériques.
Film opéra, car à l'instar de cet art dont la traduction littérale du nom italien signifie "grandes oeuvres" au sens de l'énormité du dispositif, et où la narration e tout autant par le décor, la musique, la mise en scène que les dialogues ou les soli, tout ici est repris sous la caméra d'un cinéaste dont j'avoue ne pas avoir perçu jusque là tant de velléités à faire un cinéma aussi peu académique, aussi novateur dans sa façon d'utiliser les outils à sa disposition, tout en gardant une acuité de vieux briscard.
La rencontre avec Emilia Perez intervient dans un second temps et même si à compter de là sa présence impactera tout le reste du film, que ce soit physiquement, symboliquement ou philosophiquement, la place de Rita ne sera jamais amoindrie mais servira même de pivot. Le postulat qui préside à la création de ce film, à savoir un chef de cartel surpuissant qui pour changer de vie et se faire oublier veut changer de sexe, aurait pu dans le climat actuel où les discours sur le sujet, ô combien douloureux et compliqué de la transidentité , polarisent la sphère publique, tomber soit dans un militantisme, qui aussi nécessaire qu'il soit peut être ressenti comme vindicatif, soit dans des clichés transphobes. A dire vrai je craignais en allant au cinéma me retrouver devant un film qui tiendrait un discours de cet ordre, une idée très rance du concept odieux de l'argument des réactionnaires qui dit que les problèmes d'identité ne sont que des caprices et ne doivent pas être pris en compte. Inable ! Or il n'en est rien, le film a l'intelligence de vite évacuer ce point de vue et je lui en sais gré.
Film stupéfiant, généreux, qui ne ressemble à rien de connu, qui en plus va provoquer des descentes d'organes à toute la sphère néofasciste qui beugle sa haine de l'altérité. Féministe, inclusif, provocateur, jouant sur les codes du film de genre, de la comédie musicale, de la romance et du drame avec pertinence et saupoudrant ses divers ingrédients à bon escient, pour un résultat qui ne laissera personne indifférent. Une dernière séquence où Emilia Perez est iconisée telle une vierge de Guadalupe, dans un pays où la foi chrétienne est bien plus présente et active que chez nous, n'en déplaise là encore aux tristes foies jaunes qui se sont émus lors d'une récente cérémonie qu'on ait selon eux attenté à leur dogme religieux, eux qui n'ont pas assisté à une messe depuis des années, achève de me rendre ce film plus que recommandable. Les lignes bougent, se confondent, à l'instar du monde et le film a cette vertu de nous le prouver avec maestria.