Avec Ema, Pablo Larraín délaisse le biopic et l’Histoire pour plonger dans une chorégraphie sauvage où la maternité, le désir et la liberté s’entrechoquent dans un tourbillon de néons et de musique. Loin du naturalisme des récits familiaux, Ema embrasse l’anarchie, refusant toute psychologie explicative, toute structure narrative classique, pour dresser le portrait d’une héroïne insaisissable, en perpétuelle réinvention.
Ema (Mariana Di Girolamo) a adopté un enfant, Polo, puis l’a rendu aux services sociaux après un acte violent. Là où le cinéma a souvent raconté des mères prêtes à tout pour retrouver leur enfant, Ema renverse la logique. Son rapport à la maternité est fluide, mouvant, insoumis, loin du modèle sacrificiel ou instinctif.
Si Ema est un film de danse, ce n’est pas par simple esthétique. Le reggaeton, trop souvent réduit à une hypersexualisation et à la rue, devient ici un langage, un acte de révolte. Les chorégraphies ne sont pas des performances figées, mais des manifestations d’énergie, indomptable. Elles traduisent un chaos intérieur qui refuse d’être contenu.
Chaque mouvement d’Ema est une provocation, un refus du carcan, une tentative d’exister hors des cadres normatifs. En brûlant, elle ne se contente pas de défier l’ordre : elle le consume, elle le réduit en cendres pour mieux en faire naître autre chose. Le chalumeau qu’elle brandit devient le prolongement de son corps, symbole d’une destruction créatrice, d’une maternité réinventée. Le feu ne détruit pas seulement, il purifie, il annonce un renouveau.
Larraín filme Ema comme une figure insaisissable, insubordonnée. Son regard glacial contraste avec l’énergie brûlante de son corps en mouvement. Elle ne s’excuse pas, ne se justifie jamais. Doit-on l’irer ou la craindre ? Larraín ne nous offre aucune réponse. Il fait tout pour créer un regard distant, refusant toute empathie facile. On ne pénètre jamais son esprit : elle semble toujours un coup d’avance, manipulant les autres sans que l’on puisse saisir pleinement ses intentions.
Elle veut récupérer Polo, mais refuse le chemin attendu. Plutôt que d’entamer une procédure, elle infiltre une famille, séduit chaque membre, façonne son propre récit. Son pouvoir ne vient pas d’une force brutale, mais d’une maîtrise totale de l’espace et des autres. Elle attire, elle hypnotise, et elle obtient ce qu’elle veut sans jamais forcer.
Ema n’affronte pas le pouvoir, elle le dissout. Elle ne s’oppose pas frontalement aux règles, elle les contourne jusqu’à les rendre obsolètes. Elle ne cherche pas à réintégrer l’ordre établi, mais à le consumer de l’intérieur, à imposer une autre logique, fluide et insaisissable.
En cela, elle rappelle une figure mythologique, presque une sirène moderne. Elle envoûte plutôt qu’elle ne combat. Elle attire ses proies, leur fait croire qu’elles décident, alors qu’elle contrôle chaque mouvement.
Dans Ema, la danse cesse d’être une performance dirigée pour devenir un acte de possession. En quittant la scène, en investissant la ville, elle s’affranchit de toute autorité. Le corps n’est plus soumis à un metteur en scène, il devient outil d’émancipation. Et c’est là toute la trajectoire du film : ref toute structure, créer son propre mouvement.
Avec Ema, Pablo Larraín signe une œuvre qui ne se raconte pas, mais qui se ressent. Une odyssée anarchiste où la féminité se libère de toute assignation, où le désir devient une force, où le chaos n’est pas un échec mais une renaissance. Un film qui ne suit aucun chemin tracé, à l’image de son héroïne : insaisissable, incandescente, prête à danser jusqu’à la combustion.