Il ne manquait pas grand-chose pour que l’on puisse considérer « Elle » comme un chef d’œuvre. Le choix de Laurent Lafitte (très peu convaincant) et quelques facilités viennent ternir l’éclat de ce bijou d’une implacable rutilance, drôle, à l’écriture ravageuse !
« Elle » est un film tape à l’œil. En suivant Michèle, l’on entre dans un univers où tout tend à la superficialité juvénile. Aucun adulte n’est vraiment responsable, tous sont pour le moins instables, Michèle d’abord, mais je vais y revenir, sa mère qui entretient des relations vénales avec un jeune homme sans le sou, le fils qui n’a guère déé les douze ans d’âge mental, l’ex qui s’est perdu de vue depuis leur rupture, l’amie et associée adulescente transie… C’est un monde presque factice et virtuel (Michèle tient une agence de création graphique de jeux vidéo), où l’apparence est prédominante (on voit à l’écran un nombre incroyable de marques de luxe) où l’émotion semble n’être que réactionnelle, souvent à contrario. Le décor planté, le rideau peut s’ouvrir sur le petit théâtre de la grande manipulation.
Cette référence à la scène n’est pas totalement innocente, puisqu’ici le verbe est haut placé, et l’articulation des répliques donne le rythme à l’action. Les personnages sont manipulés et malmenés jusqu’à l’exagération. Les situations quant à elles, anodines ou troubles, sont traitées à un même niveau de dramaturgie. Ainsi le é « lourd » de Michèle est diminué, tout comme son agression, rien qui puisse couper l’appétit (les scènes de table sont des scènes clés). Cette distanciation moqueuse est l’apanage de la satire. « Elle » est une satire sociale, virulente et percutante. Chacun évoluant dans son univers intérieur clos, réfutant par confort l’évidence (adultère, mort, paternité…). Mais quand la réalité vient se cogner à ces vies fantasmées, c’est le drame ou presque.
Et le personnage de Michèle devient de fait emblématique. La psychose dont elle souffre influe sur tout son entourage, et diffuse petit à petit une espèce de poison aussi invisible qu’indolore (au moins de prime abord). Elle vampirise son entourage, il en va de sa survie. La complexité d’esprit de cette femme est extraordinaire et bluffant. La « créature » de Dijan est ici transcendée par David Birke (scénariste) mais surtout par Isabelle Huppert. Elle atteint le summum en mante religieuse d’apparence si fragile. C’est un peu comme si elle était allée chercher toutes les ressources de sa brillante carrière pour faire vivre Michèle. Qui de « Violette Nozière » à « Coup de torchon », de « La Cérémonie » à « L’avenir » en ant par « Loulou » ou encore « Gabrielle », offre un florilège de son talent, qui aurait du être couronné à Cannes, si le Palmarès avait été moins diplomatique. Elle a la beauté et l'aplomb des grandes figures féminines de légende du grand Hollywood, Davis, Crawford ou encore Tierney !
Paul Verhoeven quant à lui, s’amuse, il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il dispose d’un vrai scénario (ce qui n’était pas le cas de « Basic Instinct », le comparatif entre les deux films serait d'ailleurs intéressant). Sa mise en scène est très enlevée, ses cadrages d’une rare précision sont imperceptibles et se placent toujours au service de l’histoire. Seules quelques scènes restent un peu flemmardes au regard du reste (la confrontation finale Michèle/Rebecca par exemple qui tient plus de « Petits secrets entre voisins »). Mais son sens de l’équilibre quant à lui est retrouvé !
« Elle » est un très bon film, amer et pourtant si réjouissant !