Il est étonnant de penser d’un film qu’il est trop court ou plus justement pas assez long. Cadres somptueux et histoire imprégnée de romantisme au sens littéraire du terme, Eiffel possède tout ce qu’il faut pour en faire un grand film d’époque. Seulement il y a un hic, un grain de sable dans cette mécanique bien huilée qui fait que Eiffel n’atteint jamais le sommet de ses ambitions. La faute à un récit réduit à une histoire d’amour encombrante face à la fresque historique qui s’offrait à Martin Bourboulon, réalisateur du film. Avec une heure de plus, Eiffel aurait pu développer son histoire pour en faire un grand film romanesque.
La difficulté d’un biopic, ici l’histoire de Gustave Eiffel, plus précisément lors de la construction de sa fameuse tour, est de trouver le bon angle d’attaque. Comment s’accrocher à la réalité des faits et comment y insuffler la partie fictionnelle nécessaire ? Le choix de Caroline Bongrand, scénariste du film, est simple, s’attacher à l’histoire d’amour fictive entre Gustave Eiffel et Adrienne Bourgès. Il y a une chose qui marque quant à cette histoire: le casting. Romain Duris, quarante sept ans, incarnant Gustave Eiffel, et Emma Mackey, vingt-cinq ans, jouant le personnage d’Adrienne. Au-delà du simple écart d’âge critiquable moralement, le problème se retrouve dans la cohérence même de cette liaison amoureuse. Comment croire aux retrouvailles de Gustave et de son amour de jeunesse alors que Emma Mackey a l'âge que Adrienne est censée avoir dans les flash backs ? Si l’on e outre cette fatale erreur de casting, la romance structure toute la dramaturgie du film. Gustave Eiffel tombe amoureux dans sa jeunesse d’Adrienne. Issus de classes sociales différentes, leur amour est impossible et leur séparation inévitable. Vingt ans plus tard, Eiffel devenu grand ingénieur, sortant de sa conception de la statue de la liberté, retrouve cet amour perdu, maintenant marié, et entreprend de construire une grosse tour pour l'impressionner.
La tour, hormis devenir le symbole phallique du désir de son créateur pour Adrienne, est censée représenter le lien entre la bourgeoisie et le prolétariat. Une tour où toutes les classes se mélangent comme l’affirme Gustave Eiffel. C’est sûrement ici que le film pointe quelque chose d’intéressant sans jamais réellement le développer. Certes Eiffel est, à travers de nombreuses scènes, réduit à son simple statut social d’origine. Notamment une scène de panne de voiture cristallisant cet amour défiant les classes. Mais jamais le film ne prendra le point de vue des ouvriers. Jamais la lutte des classes, dans l’ère du temps pendant la révolution industrielle, ne pointera le bout de son nez. Peut être car Gustave Eiffel, en étant le représentant parfait de la start up nation dans le film (un patron sans défaut), ne voit jamais plus loin que le bout de son nez.
Eiffel reste malgré tout un film magnifique visuellement grâce à une direction de la photographie soignée et une reconstitution historique fastueuse. Ce qui augure du bon pour la suite de la carrière de Martin Bourboulon, s’attaquant à un nouveau blockbuster français: une adaptation en deux volets des Trois Mousquetaires de Dumas. Dommage que la scène finale entre Gustave et Adrienne, très belle, dans un jeu de regard plein d'émotions rappelant l’épilogue de La La Land, soit gâchée par un dernier plan maladroit et sur-explicatif. Avec ce sentiment amer de léger gâchis, on pourrait vouloir se replonger dans une grande tragédie amoureuse sur fond de lutte des classes et d'événements historiques: Titanic de James Cameron.