Les deux cavaliers

Seule et unique incursion de Blake Edwards dans le genre du western, sorti en 1971, Wild Rovers est un échec commercial pour son réalisateur, qui aura perdu le final cut en cours de route face au studio. La Warner va ainsi couper 20 bonnes minutes dans le montage (pour descendre à 106 minutes), entérinant de fait, une période difficile à l'aube du Nouvel Hollywood, pour celui qui fut l'un des cinéastes américain les plus importants des sixties. Fort heureusement, Edwards finira par s'en relever durant la dernière partie de sa carrière, tandis que le métrage est désormais visible dans sa version dite "initiale" (137 minutes), qui bien mieux que le film mutilé présenté à l'époque, s'avère être une formidable réussite, pour ce qui constitue, l'une des œuvres les moins célébrées du cinéaste (celui-ci voulait en faire une grande épopée de 3h, mais cette version n'a jamais pu être montée).


Pour résumer brièvement, le film suit deux cow-boys, Ross Bodine (William Holden) et Frank Post (Ryan O'Neal), en quête d'une nouvelle vie. Pour se faire, ils vont cambrioler une banque, avant de prendre la fuite, direction le Mexique, tandis qu'ils seront poursuivis par les deux fils de leur patron, Walter Buckman (Karl Malden).


Dans une volonté de désacralisation du Western, Blake Edwards nous montre ici le quotidien de ces cow-boys de l'ouest, et la rudesse du travail dans les ranchs, où les accidents sont vite arrivés, comme avec la mort soudaine d'un bouvier au début du film (percuté par son cheval, alors en pleine crise d'hystérie). Cet incident sera donc l'occasion de philosopher sur leur vie, pour les personnages incarnés par William Holden et Ryan O'Neal, tous deux perturbés par la soudaineté de l'événement. Se rendant compte par la suite que ce travail n'a jamais permis a un cow-boy de mettre de l'argent de côté, ils évoquent alors l'idée d'un braquage de banque, avec à la clé, l'espoir d'une nouvelle vie au Mexique.


Point de grand moment de bravoure durant le braquage (ou plutôt cambriolage), à l'image du reste du film, Blake Edwards s'attelle à ne pas héroïser ou même diaboliser ses personnages. L'action n'est clairement pas ce qui intéresse le réalisateur. Le déroulé de l'événement s'avère donc sobre (avec tout de même un peu de tension), et si nos deux anti-héros savent que ce qu'ils font là n'est pas très moral, ils n'utilisent pas la violence et n'oublient pas de faire un geste pour l'ensemble de leur collègue, afin qu'ils ne se retrouvent pas tous sur la paille, eux dont la vie semble se résumer à boire au saloon, et fréquenter les filles de joie du bordel local (même si au final cet élan de générosité sera vain, l'occasion d'évoquer l'hypocrisie dont font preuve les élites quand la situation les arranges).


La suite du film prend alors la forme d'un road-movie (genre intimement lié au western depuis toujours), où nos deux compères vont tenter d'atteindre le Mexique sans se faire attraper par les hommes envoyés à leur trousse. Là encore, Blake Edwards va à rebours des attentes, en nous proposant une fuite à la langueur complètement opposée à de nombreux titres de sa filmographie des années 60, comme La Panthère rose (1963), The Great Race (1965) ou bien The Party (1968), dans lesquels, les gags et péripéties s'enchaînent sans discontinuer, dans un esprit burlesque. Notons quand même, que si le rythme du film est très différent de ce à quoi le réalisateur nous avait habitués jusque-là, à cette époque, il n'oublie pas pour autant ce qui fait le cœur de son cinéma, à savoir : de l'humour, beaucoup d'autodérisions et une tendresse sincère pour ses personnages, même du côté des "antagonistes" qu'il ne juge à aucun moment.


Très agréable à suivre et à vivre, nous aurons ainsi le droit à des moments de joies simples, que ce soit durant une séquence de dressage de chevaux, ou bien autour de feux de camp dans la nature, voire même dans le fait de prendre un bain en ville après de longues semaines. Il y a aussi une relation très touchante, presque de l'ordre du père/fils entre les personnages de Bodine et Post et qui m'évoque personnellement, avec beaucoup de bonheur, Le Canardeur (Thunderbolt and Lightfoot) de Michael Cimino (1974), où l'on peut également retrouver cette idée d'un professionnel expérimenté (Clint Eastwood) planifiant un braquage avec un jeune homme insouciant et plein de fougues (Jeff Bridges). Le dernier tiers du film, après le age dans la ville de Bensson, changera cependant de ton, pour se faire plus grave, car comme dans tout road-movie, vient le moment de la désillusion. Nos deux fuyards seront inexorablement rattrapés par leur destin respectif, dans une fin triste et amer, eux qui pour s'extirper de leur condition précaire, n'ont trouvé d'autre moyen que de devenir des hors-la-loi. Edwards ne nous assène pas ici une morale simpliste, façon "le crime ne paie pas", mais plutôt un commentaire, sur la difficulté de s'élever socialement lorsque l'on part de rien.


Si Blake Edwards n'est pas un immense spécialiste du western (bien qu'il en ait scénarisés plusieurs), cela ne l'empêche pas de nous livrer, avec Wild Rovers, un film absolument splendide visuellement, avec certains cadres et grands espaces semblant directement issus du cinéma de John Ford, et de La Prisonnière du Désert (1956) notamment (je ne serais pas étonné si l'on m'annonçait que certaines séquences ont été tournées à Monument Valley). Il faut souligner également, la superbe photographie signée par le chef opérateur Philip H. Lathrop, fidèle de Blake Edwards dont il s'agit ici de la dernière collaboration, et qui officiait jusque-là sur la plupart des films du réalisateur depuis Diamant sur Canapé en 1961 (à noter qu'en-dehors de son travail avec Edwards, le monsieur a quand même un CV des plus impressionnant, puisqu'il a collaboré entre autres avec : John Boorman, Norman Jewison, John Frankenheimer, Sidney Polack, Sam Peckinpah et Walter Hill, excusez du peu...). Ici, son travail sur l'image et les couleurs, d'un naturalisme typique des années 70, rappelle (avec deux ans d'avance) le chef d'œuvre Pat Garrett and Billy the Kid, de "Bloody" Sam Peckinpah (1973), dont il va également piquer un certain goût pour les ralentis.


Projeté à La Cinémathèque il y a quelques semaines dans le cadre d'un cycle Western, j'ai malheureusement raté la séance, à cause des joies du salariat, mais avec un peu de volonté, j'ai réussi à trouver le film dans une copie de bonne qualité. Désormais, j'espère fortement une sortie blu-ray un jour par chez nous, car il s'agit assurément pour moi de l'un des meilleurs westerns de la période et d'un film à ne surtout pas sous-estimer ou oublier dans l'œuvre de son génial réalisateur, Blake Edwards.


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le 22 mai 2025

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Christophe Parking

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