Lorsqu’on explore les différents documentaires proposés sur une même période, en l’occurrence la deuxième guerre mondiale, vue par Lanzman dans Le Chagrin et la Pitié en 1971, le visionnage d’un film comme celui de Roissif peut s’avérer troublant. Après les partis pris radicaux de l’un, dénué de toute image d’archive, ou l’angle d’attaque de l’autre, se concentrant sur une ville et allant chercher les témoignages les plus diversifiés, le travail présenté ici devient l’archétype d’un certain classicisme devenu presque hors compétition.
Tout, effectivement, est construit de manière à remplir les fonctions premières du documentaire : traiter, trier, compiler, synthétiser l’information pour la rendre digeste, dans une approche didactique dont l’obsession première sera l’efficacité.
Et force est de reconnaitre que celle-ci est au rendez-vous. De Nuremberg à Nuremberg est avant tout un formidable travail d’archives, puisque les trois heures du film se résument à un montage de ce tout ce que l’époque a pu produire en prises de vues, qu’il s’agisse de propagande (les fameuses premières images de Nuremberg filmées par Riefenstahl), de reportage de guerre ou d’images du procès saisies pour la postérité.
Le bout-à-bout permet parfaitement de saisir l’ascension du régime Nazi, l’impuissance incrédule des voisins européens, l’inefficacité de la SDN et la facilité avec laquelle la conquête se met en branle avant de prendre des proportions globales par les actions simultanées de l’Axe.
La méthode, très pédagogique, use de tous les ressorts : un narrateur en voix off, commençant chacune de ses phrases par la date, verbalisant les enjeux, les noms propres ou les chiffres, le recours à des cartes et un habillage musical de Vangelis pour accompagner quelques séquences particulièrement spectaculaires.
A la différence des autres monuments sur le sujet, le déroulé se veut surtout factuel. Aucune intervention d’historien ou de témoin, pas de place au ressenti ou aux analyses. Il s’agit, au sens strict, d’un récit sur l’ascension et la décadence d’un Empire qui, en 12 ans, dévaste la planète et exploite toutes les innovations humaines au profit de la destruction de masse. Ce ton résolument neutre est probablement à mettre en parallèle avec l’aboutissement du récit, à savoir le procès. Un regard qui se voudrait impartial pour pouvoir juger, et qui réserve pour la fin, face aux accusés, les images les plus terribles du Ghetto de Varsovie ou des camps d’extermination.
« J’ai conçu ce film pour réveiller les mémoires », a déclaré Frédéric Roissif. Une initiative nécessaire, si l’on en juge par les réticences de la télévision française, qui mis deux ans avant de le diff, arguant le désintérêt des téléspectateurs pour les nazis et les risques de confusion avec la campagne présidentielle de 88 dans laquelle était engagée l’extrême droite. Un regard frontal sur le é dans l’espoir que de nouvelles archives d’un tel ordre ne se créent plus à l’avenir.