The Art Life n’est pas tant le portrait de Lynch cinéaste que de l’artiste, et particulièrement de l’artiste en devenir. Le documentaire navigue sur deux périodes : un récit rétrospectif autobiographique, prononcé par Lynch lui-même face à un micro, et apparemment sans interlocuteur, sous la forme d’une confession mémorielle qui s’étend de son enfance à son premier tournage du mythique Erasherhead ; et, pour ce qui est des images, le quotidien du travail du Lynch plasticien, dans son atelier, parfois en compagnie de sa toute jeune fille. Le son du souvenir se superpose ainsi à un work in progress, entre en écho avec lui et apporte, sinon des clés de lecture, au moins quelques pistes de réflexion.
La forme même du documentaire est séduisante et laisse au charisme majeur du personnage sa grande part de mystère. Lynch raconte plus qu’il n’explique, et le fait de cette inimitable voix flûtée et nasillarde que les spectateurs de Twin Peaks et fans de Gordon Cole connaissent bien.
Au gré de son parcours, on voit émerger un personnage un peu atypique mais qui n’a jamais véritablement cherché la singularité : Lynch révéle surtout une sensibilité profonde et une curiosité pour la vibration du monde, au point de visiter des morgues ou laisser, dans un but d’observation, pourrir différents éléments dans sa cave. Le jour où il montre, avec une certaine émotion ses expériences à son père, celui-ci lui conseille de ne jamais avoir d’enfants… Alors que sa petite amie, sans qu’il le sache encore, est déjà enceinte.
The Art Life n’est pas particulièrement riche en révélations, et procède davantage par immersion : son insistance, par exemple, sur les différents lieux qu’il a traversés, les maisons qu’il a habitées permet de prendre la mesure de ses expériences de témoin hypersensible, et de comprendre la manière dont il arrive, dans son cinéma, à faire à ce point vibrer les lieux. La description anxiogène qu’il fait de la traversée du pont le menant à Philadelphie, ou la façon dont il suspend un souvenir trop atroce donnent accès à un élément très rare dans les propos des créateurs : une sincérité sans filtre, un partage d’émotion, et non une déclaration théorique d’intention.
Ce parti-pris se révèle aussi fécond dans cette superposition apparemment arbitraire entre l’image et le son : voir Lynch peindre, tenter, jeter, travailler l’ébénisterie et longuement fumer en réfléchissant, entrevoir une immense variété de ses œuvres ainsi que des extraits de ses premiers courts-métrages ne nous explique pas ce qu’il fait, mais bien l’état d’esprit dans lequel il le réalise.
Et c’est là la réussite de ce documentaire : donner la parole à un créateur pour qu’il puisse exprimer ce qui fait son élan. De Lynch, on apprend qu’il est à l’écoute, que son enthousiasme est constant, et qu’il a une gratitude immense d’avoir pu aller si loin dans son art.
Autant d’aveux qui ne peuvent que favoriser un retour tout aussi enthousiaste à son univers.