La mélasse américaine

Il fut un temps où je me faisais de Michel Hazanavicius l’image d’un auteur percutant.
D’abord sa collaboration avec les Nuls, puis son magistral Grand détournement et enfin ses deux OSS 117 sont à mes yeux trois contributions majeures faites à la comédie française et dans lesquelles je vais d’ailleurs régulièrement piocher des références pour mes calembours du quotidien…
Mais bon seulement voilà, depuis cette radieuse trinité, il y a eu le déjà plus inégal The Artist
…Et puis il y a eu The Search
Et puis il y a eu Le redoutable
Et puis il y a eu Le prince oublié
Bref aujourd’hui j’avoue nourrir davantage de doutes sur le caractère « percutant » du bon Michel et ce Coupez ! est malheureusement venu me le confirmer.


Alors d’accord, avec le recul, je pourrais au moins reconnaitre comme mérite à ce film d’être le produit d’une certaine audace… (...même si cette audace est ici à relativiser du fait que ce film soit un remake...)
…Audace notamment du fait qu’au final – d’un point de vue formel et discursif - ce film soit constitué de trois segments distincts ; trois segments qui ont été pensés comme autant de couches de lecture portées sur ce que c’est que de faire du cinéma.
Et si j’entends que dans l’idée on pourrait me reprocher de dévoiler d’emblée cette caractéristique du film au sein de ma critique – et cela sans bande spoiler – de l’autre je pense que c’est au contraire rendre service à ce Coupez ! que de signaler – et cela notamment à des spectateurs qui, comme moi, se déplacent voir des films sans rien en savoir – que ce dernier long-métrage d’Hazanavicius ne se limite pas qu’à son seul premier segment.


Parce que oui, qu’est-ce qu’il est chiant ce premier segment ! (Et surtout long.)
…Et même si par la suite les fragilités de ce segment sont en partie justifiées plus tard dans le film, le fait est qu’il faut quand-même se les enquiller ces trente putain de minutes.
Perso j’ai eu beaucoup de mal à rester dans mon siège. La parodie de slasher en mode second degré ça va bien cinq minutes, mais au-delà c’est quand-même vraiment usant.
Dommage parce que le début fonctionne bien. En cinq minutes on comprend déjà que le film entend jouer sur plusieurs niveaux de lecture, nous faisant er d’un nanar à un autre par un habile jeu de mise en abyme.
Et c’est terrible d’ailleurs à ce sujet là que le film ne sache pas embrayer tout de suite ce genre d’idée, parce qu’au bout de dix minutes – et alors que je ne savais pourtant rien de ce film – j’étais déjà en train de me dire que ce Coupez ! aurait eu tout à gagner à encore changer de niveau...
...Ce qu’il fera bien au final – et tant mieux pour lui – mais ce qu’il fera vingt minutes trop tard.


Trente minutes de nanar c’est long… Et ça surtout quand on manque d’inspiration.
Parce qu’autant je suis d’accord pour dire que c’est une chouette idée de faire un slasher puis un segment sur les conditions de tournage du slasher, mais pour que cette idée soit pleinement fonctionnelle il aurait déjà fallu que le slasher fonctionne…
Or là le problème c’est que les effets de comique sont trop connus, trop appuyés, trop répétés. Ça tourne en boucle pendant bien trop longtemps si bien que lorsque le second segment s’est enclenché, le film m’avait déjà perdu.
D’ailleurs le deuxième segment, personnellement, je ne l’ai pas trouvé particulièrement convaincant non plus.
Essentiellement informatif. Formellement plat. Il se retrouve même à devoir refaire de l’exposition alors que le film est déjà commencé depuis une demi-heure.


Au bout du compte, le seul véritable intérêt de ce Coupez ! fut à mes yeux son troisième segment.
C’est ce segment là qui donne tout son sens à la démarche globale du film.
C’est d’ailleurs un segment qui fonctionne plutôt bien et cela justement parce qu’il mobilise sans cesse notre souvenir du premier tronçon d’histoire.
Dès lors, on aborde chaque scène selon une double-perspective ce qui dynamise considérablement notre approche. C’est habile.
Surprise d’ailleurs : j’ai fini par me marrer lors de ce troisième segment…
…Chose qui ne m’était pas arrivée une seule fois lors des deux segments précédents.


Alors c’est vrai, j’ai quitté ce film avec un sourire ce qui n’est pas rien.
C’est vrai aussi que je trouve que, par ce Coupez !, Hazanavicius a tenté un truc et que ce n’est pas anodin de le souligner (...quand bien même cette audace est sûrement à relativiser au regard de ce qui avait déjà été entrepris par l’œuvre originale qu’il remake ici et que je n’ai pas vue.)
Mais bon voilà, d’un autre côté Coupez ! c’est aussi deux tiers d’ennui pour au final qu’un seul tiers d’un spectacle plutôt efficace…
…Et « plutôt efficace », perso, ce n’est pas ce que j’attends d’une comédie de l’auteur d’ OSS 117 et de La classe américaine.


Parce qu’il fut un temps où Hazanavicius fut percutant.
C’était un Hazanavicius qui avait le sens du détail, de l’absurde parfois, et surtout ce don pour ne pas trop appuyer les choses.
Dans ses deux OSS l’humour ne ait pas que dans les jeux de mots et les grimaces de Jean Dujardin, il ait aussi dans cette restitution d’un cinéma suranné, dans le goût décalé d’un pastiche qu’on assume et qu’on ne se sent pas l’obligation d’expliciter…
…Et s’il y avait bien parfois une Larmina pour nous expliciter parfois un peu trop les choses, c’était pour moi un mal acceptable (et peut-être nécessaire pour certains) surtout quand derrière elle il y avait tout une série de notes comiques que l’auteur ne se sentait pas dans l’obligation d’expliquer ou de souligner.


Or là, dans Coupez ! c’est surtout l’autre Hazanavicius que j’ai retrouvé…
…L’Hazanavicius de The Search qui se sent dans l’obligation de faire un peu de morale sur le monde du cinéma et ses producteurs véreux...
…L’Hazanavicius aussi du Redoutable qui se sent dans l’obligation de produire un discours méta sur le cinéma comme si, au fond, les meilleurs films étaient encore ceux qui parlaient d’eux-mêmes en tant que films (m’voyez).
…Voire même l’Hazanavicius du Prince oublié qui se sent dans l’obligation de faire dans l’émotion facile et appuyée, à base de papa-et-sa-fifille et tout le tralala.


Cet Hazanavicius je ne l’aime pas…
…Et je ne l’aime pas parce que j’ai l’impression qu’il nous prend un peu pour des cons.
Cet Hazanavicius c’est celui qui explique même quand il ne faut pas expliquer.
C’est l’Hazanavicius qui appuie même quand il ne faut pas appuyer.
C’est l’Hazanavicius qui se la raconte un peu alors qu’on n’est jamais meilleur que lorsqu’on se contente de faire le cinéma qu’on a envie de voir, sans souci du « qu’en dira-t-on ».
Parce qu’au fond c’est ça avoir la classe américaine.
C’est devenir l’homme le plus classe du monde non pas pour ce qu’on montre de soi, mais plutôt pour ce qu’on montre tout court.
Dans un entretien, Hazanavicius expliquait une fois au sujet de son Grand détournement que la plupart des dialogues qu’il avait écrit l’avaient parfois été pour le plus gratuit des plaisirs. Pourquoi cet indien dit « des chips » ? Mais juste parce que sa bouche donne l’impression de dire « des chips » ! C’est con. C’est totalement absurde. C’est gratuit. Mais parce que ça faisait triper Hazanavicius il l’a fait.


Il ne l’a pas fait en se posant la question de savoir de ce que ça produirait en termes de méta-cinéma ou bien de ce que ça pourrait lui rapporter comme statuettes…
...Et j’ai presque envie de dire qu’il ne l’a pas fait pour le public.
Il l’a fait pour lui. Pour le spectateur qu’il était à ce moment-là…
…Et pour moi c’est pour ça que ça a autant marché sur autant de spectateurs au final.
…Parce que c’était un film fait pour des spectateurs.


Coupez ! n’est pas un film pour des spectateurs.
Coupez ! est un film pour le public.
C’est un film qui a trop formaté sa démarche pour que celle-ci puisse pleinement parler à des spectateurs comme moi.
C’est de l’audace sans l’audace. C’est une idée mais sans le geste qui devrait aller avec.
Et moi je trouve ça quand-même dommage ce genre de cinéma-là.
J’ai vraiment l’impression que de recevoir des Oscars, ça n’a vraiment pas fait du bien à Michel Hazanavicius en tant qu’auteur audacieux…
…Ce Michel Hazanavicius qui avait l’audace de faire pleinement ce qui lui plaisait de faire…


Alors du coup tant pis.
Coupez ! n’est donc pas le film d’un auteur percutant.
Au mieux sait-il être un film pouvant distraire sur sa fin et cela notamment parce qu’il n’est pas trop bête et parce qu’il est servi par des acteurs plutôt à l’aise.
Ça pourra en satisfaire quelques-uns et tant mieux pour eux…
…Mais pour ma part j’avoue que c’est la déception qui au final l’emporte…
…La déception d’avoir perdu celui qui fut un jour – et excusez du peu – l’homme le plus classe du monde.

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le 24 mai 2022

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lhomme-grenouille

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