Du rebord de la Corniche Kennedy, des corps dénudés prennent leur élan et plongent dans la mer. Des corps vigoureux, aux muscles sculptés, et beaux comme des déesses et des dieux grecs. Une Grèce, Grèce mythique, intemporelle, à laquelle on ne cesse de penser, tant ces rives méditerranéennes, ici marseillaises, pourraient être celles d'une île grecque, avec leurs falaises lumineuses et leur eau fascinante, dans laquelle le regard ne peut s'empêcher de plonger, précédant le mouvement des corps.
De la Grèce est également convoquée l'âme tragique, tout semblant mis en place pour un dénouement fatal, sous le soleil implacable ou dans la nuit bruissante : le danger constamment frôlé par les corps en chute, rasant les rochers avant de s'abîmer dans un bleu qui s'émulsionne de blanc au de leur pénétration ; le danger radical, aussi meurtrier qu'étouffé, et lié aux divers commerces clandestins qui innervent la ville de Marseille ; le danger d'un amour à trois, vécu dans la demi-innocence et l'intensité d'une jeunesse qui n'a pas encore totalement pris pied dans la vie adulte ; amour dont le chœur de naïades féminines qui l'entoure pronostique qu'il "finira mal"...
Accompagnée par la musique de Béatrice Thiriet, tantôt orchestrale et toute en tension, avec un violoncelle très présent qui s'abandonne parfois à la nostalgie, tantôt chantée par l'extraordinaire Kamel Kadri, qui prête aussi son visage de divinité antique à l'un des personnages principaux du film, la réalisatrice Dominique Cabrera excelle à recueillir des instants de bonheur qui s'inscrivent en nous comme autant de moments d'éternité, tant leur fugacité ne retranche rien à une densité sensorielle qui mène au bord du vertige existentiel ; ainsi le visage d'Alain Demaria, piqué dans les cheveux de Lola Creton, pendant que celle-ci tient ses paumes fermement et comme religieusement posées sur le torse de Kamel Kadri, qui enlève l'amoureux trio sur son fringant scooter. Le soleil semble avoir pris plaisir à se faire le complice de cette vibrante aventure, à avoir éclairé les paysages côtiers qui semblent autant d'amphithéâtres antiques dans lesquels la tragédie va pouvoir s'accomplir, à avoir escorté la caméra plongeant dans l'eau et se jouant superbement des éclats bleutés s'inscrivant en mosaïques sur les corps...
Et comme on reconnaît un véritable auteur à la liberté que conserve celui-ci par rapport aux mécanismes qu'il a lui-même mis en place, on sait gré à Dominique Cabrera de savoir échapper à la logique fatale d'un "Jules et Jim" et de ménager au scooter adolescent qui porte les jeunes héros une troisième voie, dans le soleil...