« I’m just a cool guy restricted by a contract ». Derrière ses allures de films d’action, ou de film noir urbain, collatéral montre la violence du monde capital, d’une société du tout marché. Il y a d’abord cette séquence inaugurale. Le visage d’un homme marchant dans un hall de gare. Les ants alentour sont flous. On n’entend rien d’autre que le bruit de ses pas résonnants. Un homme coupé du monde, détaché de l’environnement extérieur direct. Il entre en collision avec un autre type. Un bref échange sur un ton musclé avant que les deux hommes ne se séparent. Manière pour Mann de résumer le fonctionnement social de l’homme américain à l’aube du 21e siècle. On avance seul, coupé de notre environnement, préoccupé par les obligations professionnelles. Il n’y a pas de place pour la rencontre avec l’autre, pour les rapports d’altérité, sauf s’ils sont des rapports professionnels. Vincent (Tom Cruise) raconte d’ailleurs à Max (Jamie Foxx) au début du film qu’il déteste L.A. car « la ville compte 17 millions d’habitants, mais personne ne se connaît ». Le film met ensuite en scène les rapports inévitables qu’induisent la signature d’un contrat. Vincent propose un engagement moral et financier à Max, qui lui permet de le tenir par le collier, de le contraindre à tout et n’importe quoi. Le contractant est au service de l’instigateur du contrat. Et Michael Mann de pousser à l’extrême sa vision des choses lorsqu’à la fin du film Max et Annie (une femme que Max a rencontrée dans son taxi plus tôt dans la soirée) ne se déplacent plus qu’à 4 pattes pour échapper à Vincent ; le monde du travail ne se divise qu’en deux catégories primaires : les prédateurs et les proies. C’est à dire que le monde du tout marché est un monde de lutte animale, en somme un monde triste. Si cela n’est pas suffisant, le personnage joué par Tom Cruise incarne l’idée du travailleur moderne, un homme prêt à tout pour accomplir son travail en échange de la somme d’argent nécessaire au maintien de son niveau de vie. En dépit de toutes les difficultés rencontrées, Vincent ne recule devant aucune car sa vie dépend des termes du contrat qu’il a signé, il doit mener à bien sa mission pour être payé. Il dit d’ailleurs « I’m just doing my job » pour justifier son imperméabilité extrême à toute forme de sentiment, à tout remords. Il agit mécaniquement, sans réfléchir, guidé par la nécessité.
Revoir ce film aujourd’hui met en lumière la violence du système financier dans lequel l’Homme est seul contre tous, sa survie ne dépend que de sa capacité à triompher des rapports de forces. Revoir ce film aujourd’hui’hui c’est aussi se rendre compte que rien n’a changé et même, que tout est peut-être pire.