Les films de Kiyoshi Kurosawa ont toujours eu un petit côté insaisissable, exploitant une faille dans le registre de la série B horrifique (souvent gangréné par de profondes bêtises scénaristiques) pour le faire dévier vers un univers bien à lui, teinté de poésie macabre et d'ambiance surnaturelle. Cette année il nous avait déjà fait part d'un moyen-métrage, "Chime", poussant à mon goût le concept de suggestion un peu trop loin en regard du contenu. "Cloud" s'embarque dans une direction tout à fait différente dans un format plus conventionnel (long), avec une thématique qui mettra un certain temps à se concrétiser.
Il y a différent temps, différentes gradations dans les agissements du protagoniste (Masaki Suda) : au début, c'est un employé qui rallonge ses fins de mois en revendant des objets divers sur l'équivalent japonais d'Ebay (j'imagine) ; ensuite, il démissionne, et on comprend que ce qui ressemblait à un petit jeu s'est transformé en quelque chose de beaucoup plus fondamental, presque une raison d'être que le héros Ryôsuke va transformer en véritable entreprise lucrative ; enfin, la machine va se retourner contre lui et une chasse à l'homme le visant occupera le tout dernier mouvement.
Mais il y a plein de signaux parasites dans cette histoire simple en apparence. Déjà, Ryôsuke n'est pas un arnaqueur intrinsèque, il revend à peu près tout ce qui se présente à lui, arnaques à base de faux sacs de marques ou figurine étant une bonne affaire car vrai travail d'orfèvre : ce qui l'intéresse c'est faire de l'argent. Mais ici aussi, il y a un doute : ce n'est pas tant l'argent qui semble l'intéresser, son obsession se tournant davantage vers les chiffres de ses comptes bancaires qu'il contemple comme le score d'un jeu-vidéo. Mais finalement, tout cela s'avèrera assez subsidiaire en regard du sujet principal du film, sorte de critique des comportements déviants sur internet et de la difficile mutation de ces derniers dans la vie réelle. C'est presque ça, le sujet central, le age de déviances numériques (arnaques lucratives, trollage, agressivité) à des résolutions en chair et en os (comment s'en prend-on à celui qu'on menace depuis si longtemps ?). Tout cela sera traité en marge de la chasse à l'homme finale, au terme de l'accumulation de rancune profonde suscité par les bidouillages du protagoniste — un final aux allures métaphoriques, qui pourrait représenter les foires d'empoigne omniprésentes dans les interactions en ligne.
"Cloud" part à ce titre un peu dans tous les sens, avec des aspects presque home invasion lorsque le couple se sent menacé après leur déménagement dans une maison isolée, avec des psychologies assez étranges (le comportement de la petite amie par exemple) et des trous scénaristiques assez dommageables (beaucoup de ages WTF). Et le film prend les couleurs du conte moral sur les perversités des échanges numériques, avec tout leur potentiel de déshumanisation.