Depuis que je m'intéresse au cinéma, j'entends parler de ce film, celui que beaucoup présentent comme "le plus grand film de l'histoire du cinéma". Il doit être au sommet de ma liste de film à voir depuis environ cinq ans. Maintenant c'est fait, j'ai vu Citizen Kane d'Orson Welles. Et ça fait quelque chose quand même.
L'histoire d'un magnat des médias, qui a bâti un empire sur une fortune héritée de sa mère. Le film commence avec une séquence composée de plans en fondus enchaînés dont le seul point fixe est la lumière d'une des pièces du palais que Kane s'est fait construire. Un palais démesuré dans lequel il a entreposé tout ce qu'il a amassé lors de son ascension. Seulement, Charlie Kane vient de mourir dans son manoir dont la démesure n'a d'égale que sa solitude, en prononçant un mot : "Rosebud". Car oui, Monsieur Kane a tout eu, il a tout perdu, mais il a toujours été seul, bien que dominant le pays le plus puissant du monde tout en étant entouré d'une ribambelle de personnes. Kane est seul et l'a toujours été puisqu'il a voué sa vie à elle-même ; il n'avait qu'un but : devenir lui-même, mais rien que lui-même, sans les autres, qu'il ne fait que manipuler tout au long de sa vie, justement. Il finira d'ailleurs par virer son "meilleur ami" pour une critique envers sa femme, par divorcer deux fois pour ne pas avoir réussi à obtenir ce qu'il désirait, par perdre une élection pour ne pas avoir voulu se plier aux magouilles politiciennes.
Charlie Kane est un bloc, un marbre qui ne plie, ni ne rompt : il se tient droit, domine les autres, tous les autres, il les écrase, en plongée, par son ombre, par sa voix, par sa prestance. Pourtant, il n'est rien : "Il a tout eu, il a tout perdu".
Cela étant, je pense justement que Charlie Kane n'a pas tout eu, il lui a toujours manqué quelque chose qu'il a toujours désiré plus que tout et qu'il n'a jamais compris : l'amour. Kane a toujours voulu être aimé, ou bien plutôt imposer aux gens la nécessité qu'ils lui témoignent leur amour inconditionnel. Non, Kane n'a jamais rien compris à l'amour, poussant même sa seconde femme à commettre une tentative de suicide pour qu'il stoppe son désir frénétique de l'entendre chanter alors qu'elle n'a rien d'une chanteuse et qu'elle ne veut pas chanter. La pauvre femme est obligée d'aller dans la mort pour que Kane la remarque en tant que telle, pour qu'il se rende compte de son existence propre, indépendante de lui. C'est là tout le problème : le monde a tellement toujours gravité autour de lui que le simple fait d'envisager que des gens vivent sans penser à lui est impossible.
Et tout le monde pense à lui, mais personne ne l'aime, il est le centre nombriliste du monde, tout un chacun le remarque, mais personne ne tient à lui, son nom entrera dans les mémoires, mais jamais dans les cœurs. S'il est au centre, il ne perçoit pourtant pas la difficulté de sa position : le centre est le plus complexe à mettre en place, à tenir, à vivre, comme le centre des puzzles que sa femme ne complète jamais dans l'immensité insondable de l'ennui de son palais.
Cette recherche de l'amour est évidemment présente dans la recherche qui contient la trame de la narration, c'est-à-dire la signification du mot "Rosebud". Et la fin nous révèle parfaitement ce qu'il faut retenir de ce mot : rien, car "il n'y a pas de mots pour résumer la vie d'un homme". Il ne faut pas chercher de signification à ce mot, comme il ne faut pas chercher de signification aux agissements de Kane et à sa volonté nietzschéenne d'accomplir son dessein, ce qu'il a prévu. Il faut peut-être juste comprendre que ce qu'il a toujours voulu posséder il ne l'a jamais ne serait-ce qu'effleurer, trop changeant, trop évolutif, trop mouvant. C'est pourquoi il s'est enfermé dans une collecte maladive mais néanmoins méthodique de chaque sculpture, de chaque instant figé, pour pouvoir au moins toucher quelque chose se rapprochant de la beauté et de l'amour, pour posséder un peu plus, toujours plus.
Car enfin, Kane n'a toujours voulu qu'une chose : posséder, mais tout ne peut l'être, à sa grande déconvenue ; l'exemple le plus marquant est sans aucun doute le départ de sa seconde femme qui refuse de rester plus longtemps sous l'emprise de ce diktat d'amour sans âme. "C'est la seule chose qu'il n'avait pas prévu" nous dit-elle, et c'est ce qui le rendra si colérique qu'il détruira sa chambre, avant de trouver une boule de neige et de prononcer le mot qui a le plus fait couler d'encre au sein de l'histoire du cinéma : "Rosebud".