Chhaava se veut une grande fresque historique autour de la figure de Sambhaji Maharaj, mais échoue à capturer la richesse et la complexité de l’époque qu’il dépeint. Vicky Kaushal offre une performance solide, mais son personnage, idéalisé à outrance, finit par perdre toute humanité. Sambhaji devient une icône figée, invincible, presque divine — ce qui empêche toute véritable empathie.
Cette glorification atteint son paroxysme dans la dernière partie du film, où le personnage subit son supplice dans une mise en scène quasi mystique. Sambhaji est littéralement présenté comme un Christ hindou, martyrisé dans la douleur, le regard tourné vers le ciel, dans une posture de sacrifice sublime. La scène évoque clairement la ion du Christ, mais sans la même portée spirituelle ou universelle. Ici, la souf devient une ultime démonstration de supériorité morale, presque instrumentalisée pour amplifier le mythe.
Le film flirte avec des thématiques intrigantes — tensions internes, trahisons, luttes de pouvoir — mais s’y refuse systématiquement, comme s’il craignait de compromettre son récit héroïque unilatéral. Il y avait pourtant là un terrain fertile pour un vrai drame politique : les divisions au sein de la cour marathe, les désaccords stratégiques entre chefs militaires, les manipulations en coulisses, les alliances fragiles avec d’autres royaumes hindous, ou encore la complexité des négociations avec l’ennemi moghol. Tous ces éléments sont brièvement évoqués, parfois même effleurés dans des dialogues secondaires, mais jamais explorés avec la profondeur qu’ils méritent.
Plutôt que de cre cette matière dramatique, le film choisit de se replier sur une succession de scènes de bataille toujours plus violentes, mais de moins en moins significatives. Chaque affrontement ressemble au précédent : sang, cris, haches qui volent, corps qui s’empalent — une escalade de brutalité qui finit par anesthésier toute émotion. Les personnages ne font que traverser ces scènes comme des archétypes figés : le héros invincible, l’ennemi barbare, les soldats sacrifiables. Il n’y a pas d’évolution, pas de prise de risque narrative, pas de tension véritable.
Ce manque d’engagement avec les conflits internes prive le récit d’une richesse dramatique essentielle. On ne ressent jamais les dilemmes moraux, les enjeux stratégiques, ni les failles humaines qui font la grandeur des fresques historiques bien écrites. À force de sacrifier la complexité au profit du spectaculaire, Chhaava devient un film de guerre bruyant mais creux, qui préfère glorifier ses personnages au lieu de les confronter à leurs contradictions.
Le film tombe rapidement dans une vision manichéenne et dangereusement biaisée du conflit. Les soldats musulmans y sont systématiquement réduits à des brutes déshumanisées. Ils ne meurent pas, ils sont massacrés, souvent de manière excessive et grotesque : décapitations, empalements, éventrements — le tout filmé avec un plaisir visuel qui dérange. À l’inverse, les soldats hindous meurent avec gloire, dans des actes de bravoure presque surnaturels. Cette mise en scène asymétrique installe une hiérarchie perverse entre les deux camps.
Ce discours sous-jacent n’est pas anodin. Le film a d’ailleurs provoqué des émeutes communautaires dans certaines régions, preuve que ce genre de représentation a des conséquences bien réelles. En caricaturant l’ennemi musulman, Chhaava alimente des tensions déjà vives, au lieu de chercher à explorer la complexité historique des relations hindous-musulmans, faites aussi de coexistence, d’alliances politiques, et de nuances humaines.
Aurangzeb, comme les autres antagonistes, est réduit à une figure sans âme. Même Akshay Khanna, pourtant impliqué, ne peut sauver son personnage de l’écriture simpliste. Rashmika Mandanna, dans le rôle de l’épouse du roi, est presque invisible. Loin d’une Kashi Bai portée avec force par Priyanka Chopra dans Bajirao Mastani, elle n’a aucune place dans la narration.
Chhaava aurait pu être un hommage poignant à une figure historique majeure. Il devient au contraire un spectacle glorifiant, déséquilibré et politiquement trouble. Un film qui donne envie d’en savoir plus — mais ailleurs, loin de cette vision trop simpliste et dangereusement réductrice.