Traquer les trajectoires d’une famille comme tant d’autres, confrontée au deuil précoce d’une jeune fille : une sœur, une fille, une amante. Mickhaël Hers s’attarde sur ceux qui restent, sur leur capacité ou non à avancer, à travers trois étés à Berlin, Paris et New York.
C’est donc dans l’ellipse que tout va se jouer, première délicatesse apportée au parcours des personnages, pour qui la douleur pourra s’apaiser avant de ressurgir, au détour d’un regard ou d’une vue surplombant une des trois villes.
Anti-romanesque au possible, le récit cherche avant tout restituer les traces de vie, davantage que les ravages d’un deuil, et évite tous les éléments symptomatiques du symbole. Pour Hers, tout se joue dans l’ineffable du quotidien, exacerbé par la période choisie, celle d’une saison propice à l’oisiveté, et notamment les jeux avec les enfants : ce sont les sauts avec nos ombres sur une pelouse ensoleillée, une partie improvisée de pelote, un verre en soirée sur une terrasse. Très proche du cinéma de Mia Hansen-Love, et particulièrement d’Un amour de jeunesse, le film se construit sur l’accumulation d’instants non-clés, dans lesquels se loge pourtant, semble nous dire le cinéaste, l’essentiel.
L’ennui pourrait bien entendu s’inviter rapidement dans la danse ; ce n’est pas le cas, parce que l’empathie très juste pour les personnages nous les rend familiers, et que l’atmosphère construite, notamment grâce à la musique cristalline de Tahiti Boy, est d’une profonde authenticité.
Retrouver ces personnages tous les ans revient à prendre de leurs nouvelles ; la gestion des ellipses est ainsi efficace, notamment pour traiter de la séparation des parents, ou de l’évolution d’une relation : par touches, sans verbiages ni dissertation superfétatoire. De la même manière, le triangle qui pouvait se dessiner dès le départ, à savoir la possibilité d’une relation entre la sœur de la défunte et son compagnon échappe au drame conventionnel. Hers évoque l’ambiguïté, les ratés et les non-dits, suggère des pistes qui sont autant d’attentes pour les personnages comme pour les spectateurs, mais laisse le réel les épuiser. Cet aspect déceptif est l’âme même de son écriture : loin de frustrer, elle génère une authenticité profondément touchante.
Les saisons ent, les villes défilent : restent les individus et les bagages émotionnels qu’ils accumulent, les enfants qui les bousculent et les fantômes qui les accompagnent ; les rencontres, les occasions manquées : la vie, en somme, qui n’est peut-être jamais si authentiquement restituée que lorsqu’elle assume son caractère aléatoire et indicible.