Bien entendu, on peut considérer Death Proof comme une parenthèse dans la filmographie de Tarantino, et ne pas trop chercher, fort de notre très française politique des auteurs, à déceler puissance et symboles dans cette joyeuse bouffonnerie.
Mais il apparaît assez rapidement qu’en s’amusant, le cinéaste ne fait rien d’autre que poursuivre ce qu’il a entamé alors depuis une quinzaine d’année : la création d’un objet hybride, jouissif et habité.
A ce stade de sa carrière, Tarantino donne déjà le sentiment de se citer, ce qui ne manquera pas de donner à ses détracteurs (qui lui reprochent depuis toujours de ses contenter de faire références aux autres) des os gorgées de moelle. Dans cet exercice de style sur le concept des films d’exploitation avec son pote Rodriguez, le cinéphile injecte ses manies : dialogues interminables, un fétichisme du pied qui irriguait déjà Kill Bill, girl power et un sens de l’hommage appuyé à toute une frange du cinéma bis.
La structure en écho pourrait lasser : deux groupes de copines enclines à la biture, leurs discussions à bâtons rompus, puis leur confrontation à un psychopathe, splendide Kurt Russel qui porte avec lui toute la magnificence du bad guy cinématographique.
La première différence avec le cinéma que pastiche Tarantino réside dans le jeu impeccable de ses comédiennes ; les dialogues sont impeccables, les réparties imparables, avec pour provocation ultime de ne quasiment rien dire : c’est le libre cours donné à la joute des filles entre elles, souveraines avant de morfler – ou de rendre les coups.
La seconde est celle du sérieux avec lequel le cinéaste prend son sujet en main : certes, les sauts de séquence, les fausses rayures sur la bobine ou l’exploration des bas-fonds de l’Amérique nimbent d’une certaine authenticité son film de seconde zone. Mais la rigueur de l’écriture, la construction des plans séquences (notamment sur les tours de table du deuxième groupe) et la maestria de la course poursuite finale distillent ce plaisir de voir que la forme ne sera pas indexée sur la désinvolture du sujet. La construction dichotomique des belligérants en est un exemple : une voiture noire, dont le capot est surmonté d’un canard métallique fatal, et où siège un mal sadique, s’oppose à des voitures claires, saturées de femmes débordantes de vies, l’une d’elle (Zoé Bell, cascadeuse et doubleuse d’Uma sur Kill Bill interprétant ici son propre rôle) prenant place sur le capot pour affirmer la puissance féminine et vitale d’un éclat de rire ordalique.
Le film, on le sait, semble une lente convergence vers les attendues cascades. C’est d’abord un massacre gore assez génial, et qui opère une tabula rasa remettant les compteurs à zéro de façon plutôt inattendue. C’est ensuite et surtout une longue course où les rôles s’inversent, le prédateur devenant la proie de walkiries du bitume. Un film qui prend pour référence ultime Mad Max dans son traitement du fracas, avec une maîtrise indéniable de la mise en scène.
Mineur, peut-être, par la construction archétypale des personnages et la légèreté assumée de son intrigue, en témoigne ce final insolent. Mais toujours aussi sincère dans sa démarche, enthousiaste dans son partage : peu de films, surtout sur ce genre de sujets, peuvent en prétendre autant.
http://senscritique.voiranime.info/liste/Revoyons_Tarantino/1250211