L'inventivité, la force du cinéma chinois nous arrive comme ça, de temps en temps, sa fraîcheur surtout. Du cinéma mordant. Les anges y sont absents, les figures sales et l'espoir en berne. Une bête est sur la route, noir présage d'un avenir obscur. Que brûle donc de nous raconter cette Chine, aux vastes origines, complexe et sidérante, en perpétuelle mutation, violente toujours et sans commune mesure ?
Une fois de plus, Black dog s'ouvre ainsi sur des étendues faramineuses, aux frontières du désert de Gobi. On dirait du George Miller... Des cohortes de chiens rodent ici...Le territoire est aride, et nous sommes proches d'une petite bourgade dévastée, en ruines, Chingxia, si ce n'est belle, pour le moins endormie. Appelée à renaitre sous peu, avec de grands travaux commencés, tout à fait mystérieux, sensés améliorer le cadre et les conditions de vie, prévus par "ces autorités", tout aussi opaques et mystérieuses. Pour l'instant, nous ne voyons que de la destruction, les immeubles insalubres s'écroulent, on les pilonne, on retourne les habitations. Un chantier chinois...
Et nous prenons cette histoire à l'ouverture d'un autre "grand chantier" géré en grande pompe par cette Chine, les fameux jeux de 2008 à Pékin. Un peuple tout entier est tourné vers l'évènement. La planète entière, il faut bien se rappeler... Tous ensemble. Intéressés...
Tous, sauf notre protagoniste ! A peine libéré de prison, en conditionnelle surveillée, mutique, ancienne star du quartier, mais coupable il ya une quinzaine d'années d'un accident mortel sur la personne d'un jeune homme d'à peine 16 ans...le neveu du boucher Xu. Autre personnage éminent du quartier... Le retour est difficile, autant dire. De la famille ? Un père seulement, qui nourrit les bêtes du zoo, celles qui restent du moins...quelques chiens, un tigre de Mandchourie... Il est à la dérive, à l'image de la ville, et toutes et tous semblent se perdre dans un même naufrage...
Retour sur image.
Des chiens sont légion dans les faubourgs, et l'une des grandes missions sera de les faire fuir, ou de les nasser. Un, tout particulièrement, le "chien noir," suspecté d'avoir la rage. Et cette Rage est tellement symptomatique, elle se décline dans tout le métrage. La rage semble partout, dans les existences, et particulièrement contenue dans celle de notre protagoniste. Un personnage qui, avant même d'être mordu par ce chien noir semble enfermé dans une rage sourde. Quelles sont réellement ses perspectives de réhabilitation? Le veut il vraiment...
Black dog est cet abime qui s'ouvre quand on a pris le mauvais chemin, quand on a été mal habitué, quand on a fauté, quand on a perdu l'espoir, la sève, quand le terreau était déjà fait de misère, à la naissance. Quand le désir semble impossible aussi...On est pas sans charme, sans atouts, avec des restes de force et de jeunesse, mais le ressort est cassé. Et il faudrait partir... Il faudrait...
Mais cette bourgade a tout d'une prison. Elle emprisonne avant tout dans son é, et ne propose qu'un avenir fumeux... Que c'est noir, que c'est triste... Mais nous en prenons plein les yeux.
Et notre anti-héros se nourrit d'air vicié et d'eau à peine fraîche, poussé à de mélancoliques plages de vie, de mornes séquences, bercées certaines par cette musique de Pink Floyd dont il semble le fan mono-maniaque.
Comment tout cela finira t-il ? Ici bas ? Car il lui faut respecter cet interdit, ne pas déer les limites de la ville, rapport à sa conditionnelle.
Les données du film sont posées... Maintenant ...il faut vivre, et le seul être, la seule "bête" vers qui notre bonhomme semble porté, attiré...outre son père "presque déjà disparu", fantomatique et promis à une mort prochaine, le seul "individu"donc qui lui reste, c'est ce chien noir, tout aussi rageux, tout aussi perdu, tout aussi paria que lui...
Bon dieu que c'est beau parfois... Que c'est noir ! Que le voyage est rude, c'est vrai, austère, mais la route est belle, oui, cette route à faire, à tailler, coûte que coûte, et qui forme la dédicace finale du film. Un film tout à l'intention "de ceux qui sont appelés à reprendre la route...". Eternellement. Inévitablement...