Sensible, touchant, étourdissant d’échos et de reflets, Being Good est l’exemple d’un film choral réussi. Comme fréquemment dans le genre, il faut un certain temps pour que chaque intrigue trouve son équilibre et sa place dans la fresque, mais leur résolution en cascade est si poignante qu’elle fait oublier en un clin d’œil un début un peu tâtonnant.
Intensité mesurée
Les premières minutes du film, en effet, peuvent faire craindre de rester sur sa faim. Les destins des personnages ne se sont évidemment pas encore croisés, et les angles saillants de leurs vies semblent trop aiguisés, presque coupants. Entre la vieille femme atteinte d’Alzheimer et le garçon handicapé ; entre le jeune enseignant déé et l’enfant délaissé ; entre la mère torturée et violente et sa fille terrorisée… il y a là tous les ingrédients d’un pathos démesuré, qui menacent à tout moment d’exploser maladroitement entre les mains de la réalisatrice. Néanmoins, toutes les craintes qui peuvent nous saisir à ce stade seront habilement balayées par O Mipo.
J’ai souvent eu, à propos du cinéma japonais, la réflexion suivante : de Kurosawa Akira à Sono Sion, il est souvent caractérisé par l’excès, en particulier dans le jeu des acteurs. Ce n’est évidemment pas toujours le cas, Kore-eda Hirokazu et Kawase Naomi en sont de parfait contre-exemples, tout en sensitivité délicate, mais ce surjeu a pour moi une fonction bien particulière : plonger le spectateur dans un état émotionnel au-delà du réel, où il est préparé à éprouver avec beaucoup plus d’intensité. Exploit d’équilibriste, Being Good semble le point de rencontre entre ces deux visages du cinéma japonais, simultanément sensible et très intense.
Ainsi, si certaines scènes apparaissent dans un premier temps trop forcées, à la limite de l’agaçant, on perçoit malgré tout toujours, en arrière-plan, une force beaucoup plus subtile à l’œuvre. En outre, une fois la dynamique du film mise en marche, leur pesanteur fait parfaitement sens et permet de tisser la charge émotionnelle du film. Sans s’en rendre compte, on les laisse peu à peu nous imbiber, on accepte leur poids sur nos épaules, s’y habitue. Plus tard, quand le fardeau nous sera retiré, le soulagement en sera d’autant plus grand. Bien qu’ayant flirté avec la frontière, O Mipo évite ainsi l’écueil misérabiliste, naviguant en ces flots dangereux avec beaucoup de tendresse.
Destins parallèles
Autre défi que Being Good relève avec succès : la montée en puissance parallèle de ses intrigues, alchimie indispensable dans un tel film choral. La première partie du film semble manquer de liant, et nous laisse dans une expectative inconfortable : on attend le moment où les récits entreront en collision, tout en redoutant la facilité du coutumier modèle du puzzle, où toutes les pièces patiemment taillées s’imbriquent dans un dénouement fait d’influences et de révélations. Ce dernier schéma, bien que fascinant et souvent cathartique, n’aurait pas convenu à une œuvre qui se veut tendre et profondément humaine, car il revêt un aspect trop fataliste.
Les échos de Being Good, cependant, s’organisent dans un concert beaucoup plus subtil. Si l’une des premières scènes nous montre plusieurs des personnages évoluer dans le même environnement, on se gardera bien de trouver l’intérêt de la narration dans ces rares interactions. Plutôt, on se concentrera sur les histoires individuelles, pénétrant dans l’intimité de trois relations adulte-enfant d’autant plus intenses qu’elles s’épanouissent presque en vase clos, avant qu’elles ne soient chacune bousculées par une intervention cathartique. C’est bien une résonance émotionnelle qui unit les personnages, alors que les différents climax suivent des courbes similaires.
Au-delà, il y a un véritable travail sur la forme qui ne peut laisser le spectateur indifférent. Les transitions de scènes, taillées pour accentuer le parallélisme, se montrent encore plus efficaces que les rapprochements thématiques. Raccords sur le son ou le mouvement dynamisent l’ensemble et préservent l’élan émotionnel, donnant le sentiment d’assister à une longue scène là où nous avons pourtant basculé d’une histoire à l’autre. Telle créativité dans le montage se retrouve trop peu souvent en-dehors de l'animation. Les bénéfices en sont visibles, puisqu'aucun arc ne paraît plus faible que les autres et ne nous donne envie de vite reer sur un autre personnage.
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En somme, Being Good promet à son spectateur de beaux moments d'émotion et de cinéma. Si son propos est un peu simpliste, il n'en réchauffe pas moins le cœur. La direction d'acteurs n'est pas aussi fine que chez Kawase et Kore-Eda (notamment, vis-à-vis de ce dernier, concernant les enfants), mais reste convaincante. Et si l'on voit très vite où O Mipo veut nous mener, dans une fable pleine de bons sentiments, on s'y laissera guider docilement car l'exécution est honorable et les thématiques toujours pertinentes. Face à la question essentielle de la perte du lien social, le film se pose avec bienveillance et espoir, nous enjoignant à renouer avec la simplicité – et la beauté – du humain. S’intéresser à son prochain. Accepter ses faiblesses et ses failles. Lui tendre la main sans le juger. Lui donner un peu de chaleur humaine. En nous donnant les clefs pour être bon, Being Good nous permet surtout d’être bien.