Le grand écran est en danger, et les prétendants à son opération de sauvetage se succèdent timidement depuis les années Covid ; dans un contexte de reprise particulièrement morose, tous les regards se tournent légitimement vers James Cameron. L’historique roi du box-office, de retour 13 ans après la dernière bataille, nous annonce depuis des années son grand retour, et avec lui un nouveau pallier en termes d’expérience cinématographique, le gaillard s’étant transformé en héraut des nouvelles technologies au service d’un spectacle toujours plus impressionnant.
On ne peut donc er à côté de tout cet argumentaire, inhérent à l’œuvre, et l’excitation de la nouveauté visuelle supplante presque celle de voir se déployer un nouveau chapitre en termes de récit. Cameron ouvre grands les yeux de son audience, lui promet monts et merveilles, et l’embarque effectivement dans une virée unique en son genre, une odyssée au long cours où le frisson ressenti ressemble à celui qu’ont pu expérimenter les pionniers face à des contrées inviolées.
La question des retrouvailles est centrale dans ce nouvel opus d’Avatar : l’exposition, sous forme de sommaire, propose une décennie de bonheur dans laquelle une famille se construit, avant que l’événement perturbateur et ses conséquences ne se contentent de reprendre, au motif prés (la substance convoitée par les hommes, le combat personnel avec la figure de l’antagoniste, et jusqu’au mug porté en cabine de pilotage) la structure du premier opus. Cette relative paresse, et les enjeux du final qui va jusqu’à doubler le poussif motif du kidnapping familial pourra soulever quelques reproches assez légitimes. Mais ils sont clairement assumés par un cinéaste qui n’a pas fait de ces arcs et ces figures imposées le cœur de son œuvre.
Avatar était un récit initiatique, qui faisant de la découverte émerveillée le moteur même de sa dynamique narrative. La Voie de l’eau reprend le même principe, en dédoublant le principe sur deux récits parallèles et opposés : d’un côté, Sully et sa famille vont découvrir les milieux marins, tandis que leur pire ennemi marche dans les pas du héros en découvrant la vie des Na’vi : il s’agit de se délester le plus possible des humains, dont les traces sont éminemment problématiques, même au sein d’une famille dont l’hybridation va susciter des réactions de rejet. Cette question de l’identité fragmentée et en devenir est d’ailleurs centrale, et jette clairement des erelles vers les volets suivants, que ce soit dans le destin de l’orphelin Spider ou celui de Kiri, de loin le personnage le plus riche dans sa capacité à contempler, voire diriger le vivant dans un monde avec lequel elle établit un encore à définir. La lutte entre le bien et le mal n’est en réalité qu’un motif attendu, inhérente à la construction du mythe, et, c’est vrai, au cahier des charges du blockbuster.
Mais c’est dans la distance avec les recettes de ce dernier que Cameron livre son grand-œuvre : tout d’abord parce qu’il convoque clairement les obsessions de ses films précédents (la machinerie guerrière d’Aliens et de Terminator, les fonds marins d’Abyss, la catastrophe de Titanic), tout en faisant une nouvelle fois la part belle aux personnages féminins, et notamment Neytiri, mère féline aux abois, farouche guerrière écoutant avant tout ses instincts les plus primaires. Mais ces motifs sont aussi dirigés vers l’autre grand travail de la vie du cinéaste, à savoir la découverte documentaire. La Voie de l’eau offre ainsi un regard exhaustif sur un monde dont l’auteur est à la fois le démiurge et l’irateur le plus transi, et dont l’enthousiasme est à aller chercher dans les pupilles dilatées d’émotion de Kiri. La 3D et la fluidité déconcertante de l’HFR participent à ce désir échevelé d’exotisme : Cameron dilate, panote, poursuit, élargit le cadre, vole et plonge à la poursuite de ses créatures, dans une course insatiable d’images.
Et c’est là que la véritable émotion surgit : la générosité et l’euphorie avec laquelle le créateur présente le fruit d’un labeur au long cours, entraîne avec lui des protagonistes qu’il chérit sincèrement, et qui ne seront jamais aussi touchants que lorsqu’ils interagiront avec le monde du vivant : dans la valse des poissons colorés, la houle déchaînée ou le ballet de cétacés unissant les êtres de la terre à la sérénité des abysses. Les flammes et la destruction seront toujours au rendez-vous, comme les tristes promesses de la tragique histoire répétée par les hommes. Mais le cœur battant d’Eywa, que Kiri entend battre comme personne, est la véritable pulsation de cette épopée : celle d’un monde qu’un petit génie à la caméra écarquillée regarde se déployer dans sa fascinante et infinie profondeur.