Dernier film singulier de Mathieu Kassovitz avant une série de films paranoïaques anonymes destinés à être présentés et vendus à l'étranger. Dernier film à la mise en scène de haute volée, élégante et distillant de précieux mouvements d'appareils captant au plus près les états d'âme des protagonistes. Ce même procédé en pilotage automatique donnait à la Haine un puissant pouvoir de captation de l'instant, flirtant avec le clipesque sans en atteindre sa bouffonnerie contemporaine de son temps.
Assassin(s) conserve la grâce des mouvements, en dépit d'une esthétique aujourd'hui bien évidemment datée. Son discours impitoyable a presque des allures de prophétie : encore aujourd'hui, la société est façonnée par les médias et l'omniprésence de publicités. Les jeunes paumés sont abreuvés d'images où la violence, banalisée, est un spectacle réjouissant. La figure humaniste, en retard, perdue et d'une autre époque est incarnée avec brio par un Michel "Wagner" Serrault à l'interprétation inédite, carcasse fatiguée adepte de la Grande Tradition et du travail bien fait des tueurs à gage. On ne parle pas ici de "victimes" ou de "cibles" mais plutôt de clients.
Ce qui a choqué l'intelligentsia et la bourgeoisie cannoise c'est probablement le modus operandi glaçant et d'une grande précision dépeint par Kassovitz. L'entraînement de l'apprenti tueur à gages qu'il incarne devant la caméra met en avant des détails troublants, à l'approche chirurgicale. La réaction du corps face aux coups, les points clefs à cibler pour abréger les soufs, la manière de porter son flingue sont autant d'éléments disséqués au cours de l'apprentissage de Max. Pure provocation? Sans doute, le cinéaste n'ayant pas apprécié la critique positive de La Haine par le Figaro a souhaité dépeindre la violence de manière crue, froide, à hauteur d'homme. Pas de surabondance d'effets de manche mais plutôt des séquences de violence dilatées mettant en exergue la souf intérieure du tueur apprenti et de son "client". On crie, on pleure, c'est comme cela que ça se e quand on a un pistolet (et non pas un revolver, attention) braqué sur la tempe.
Acte désespérant et désespéré, Assassin(s) prend une tournure pessimiste dans son dernier tiers éprouvant et d'apparence amoral. Pourtant, une morale, il y en a bien une. Serrault n'aurait pas voulu jouer Wagner le cas contraire. Mathieu Kassovitz fait preuve d'une belle intégrité en tant que cinéaste et signe un film qui n'a rien de drôle, gris à souhait, entaché malheureusement par des séquences invraisemblables (mais que fait la police?) et une utilisation lourde de la télévision. Néo-polar déprimant assumé qui ne sait pas sur quelle jambe danser, quel spectacle gore montrer ou ne pas montrer, Assassin(s) souffre de cette ambivalence et déconcerte encore aujourd'hui. Déjà un testament artistique.