La légère apprivoisée

Alors que le climat est à la dépression généralisée, réjouissons-nous au moins de voir que le cinéma français tente l’aventure des salles et qu’il semble rencontrer encore du public. Sélectionné pour le Festival fantôme de Cannes 2020, le film de Caroline Vignal est le candidat idéal : une actrice truculente, des paysages aussi sublimes que nationaux, et une intrigue en toute point opposée aux mesures de distanciation sociale.


On pourra évidemment faire la fine bouche sur les ressorts pour le moins éculés ici exploités, puisque l’argument tient du vaudeville bucolique avec gags attendus d’un âne têtu qui n’avancera pas, et d’une parisienne initiée aux joies de la randonnée tout en rejoignant son homme marié qui ne l’attend pas.
En réalité, la réussite du film tient dans sa façon à assumer une véritable simplicité, celle du premier degré, tout en jouant assez discrètement des écarts.


La comédie est ainsi frontale, et fait la part belle à des situations simplissimes : quiproquos et amants cachés, imprévus et désillusions ont droit de cité, d’autant qu’ils cohabitent avec un burlesque assez rafraichissant. Laure Calamy joue à bras le corps cette partition, un corps qui désire, se voit toujours paré de couleurs éclatantes, et qui se confronte à une marche difficile à mettre en branle avant de s’épanouir vers une prestance d’héroïne d’un western picaresque qui lui vaudra la salutation des villageois.


Mais Caroline Vignal sait aussi comment garder une fraicheur qui permettra d’éviter les pesanteurs du cliché ; le récit suit en effet un trajet qui se libère progressivement des attendus. Le vaudeville se voit ainsi brutalement écourté, et ce qui se présentait comme une histoire d’amour dévie vers un petit voyage initiatique qui fera la part belle aux rencontres au cours desquelles les personnages secondaires soigneusement écrits viendront contribuer. D’abord accompagnée d’une notoriété douteuse (la briseuse de ménage), Antoinette devient une sorte de star locale qui joue assez subtilement la partition féministe, capable de crier sur un homme quand il hurle sur son âne en pensant l’aider, ou d’écouter son désir lorsqu’un motard le lui propose. L’occasion pour Laure Calamy d’exploiter la vaste étendue de son répertoire, son jeu naturel permettant toutes les désinences de l’insolence, l’inconscience, la détermination ou le charme.


Ajoutons à cela un joli sens de l’image, à la faveur de quelques tableaux d’une poésie tout à fait charmant (un réveil à la Bambi dans les bois, des amants au clair de lune) et l’équipée sauvage prend des dimensions qui outreent la modeste ambition affichée de ce film. Non pas en l’empesant de prétentions psychologiques ou esthétiques, mais en travaillant avec finesse sa savoureuse légèreté.


(6.5/10)

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le 13 oct. 2020

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Sergent_Pepper

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