Le road movie, ou l’exercice de la liberté à travers un panorama social des contrées traversées : la trame est connue, l’opportunité fertile, particulièrement pour un cinéma US indépendant dans une Amérique qu’Hollywood prend soin de mettre à l’écart.
American Honey déploie ainsi un programme balisé : : la jeune fille qui abandonne une cellule familiale toxique pour prendre la route, ret sa génération pour une virée collective à la faveur d’un job de vendeuse de magasines en porte à porte. Variété des villes, des quartiers, des foyers, pour un paysage social qui fait état d’une fracture sociale toujours croissante, et dit les contradictions de la nation officiellement la plus puissante au monde.
La mise en scène accroît cette posture indé : format 1.37/1, caméra à l’épaule, photo filtrée et jaunie, pour une esthétique qui oscille entre la tonalité documentaire et l’esthétisme, à grand renfort d’interludes musicaux qui subliment les élans libertaires de la jeunesse.
La pose est étudiée, le systématisme guette, mais un motif retient l’attention : Dans cette odyssée, la musique, la danse, la destination, les liens entre les différents occupants du van sont autant de composantes qui rentrent pourtant dans un cadre, celui d’un emploi. Cette dissonance fait la saveur première du film, qui joue sur une ambiguïté dans laquelle se fourvoient une partie de ces jeunes en rupture. Sous la houlette d’une manager qui les gère à sa manière, c’est une autre exploration de la violence capitaliste qui se déploie. Le hip-hop, qui ponctue ces instants de liesse, devient surtout une sorte de lavage de cerveau par lequel on justifie le besoin de faire du fric : ou comment récupérer le discours contestataire pour en faire un outil de propagande. Les méthodes pour vendre (exciter la culpabilité des plus riches, jouer la complicité avec les pauvres), la lecture sociologique de la cartographie contrastée de l’Amérique sont autant d’éléments qui permettent un regard intéressant sur une jeunesse qui n’a plus les moyens de se permettre des illusions.
Il y avait là de quoi permettre une relecture des attendus du road movie, et Andrea Arnold sait par moment les appréhender. Par une direction d’acteurs assez fine, la capacité à capter des instants de collectivité authentiques, et le parcours d’une protagoniste qui ajuste sa dureté et ses élans sincères face à un monde qui ne lui fera pas de cadeaux.
Ce parti pris rend encore plus étonnant le traitement qui s’impose au fil d’un voyage de 2h45 que rien ne semble vraiment justifier : répétition des motifs (les clips musicaux, avec savante variation, du hip hop à l’indé, du folk à la pop mainstream), formalisme irritant (une sorte de sous Malick consistant à s’attarder à intervalles régulier sur un bestiaire d’insectes, d’oiseaux et de batraciens divers…) et écriture redondante autour d’un vague triangle amoureux occasionnant des scènes de sexe qui pensent qu’un trash un peu ridicule sera le gage d’une authenticité.
Les illusions de la liberté n’aveuglent pas seulement les personnages : à trop lâcher la bride à ses tics formels et son écriture, Andrea Arnold finit en roue libre. Ce qui, paradoxalement, et même dans un road movie, n’est en rien souhaitable.
(5.5/10)