Les lueurs de la lune de miel

L'appréciation d'un film tient souvent à peu de choses, qu'il s'agisse d'une certaine prédisposition ou des conditions de visionnage, de découverte ou de re-découverte de l'objet filmique concerné. Plus de dix ans séparent les deux avis laissés ci-dessous, double-article rendant compte dans un premier temps d'un sentiment de mitigation particulièrement prononcé puis finalement d'un étonnement davantage qualitatif au regard du quatrième long métrage du décidément brillant, ionnant et ionné cinéaste Fabrice Du Welz. Bonne lecture !


Texte écrit en novembre 2014 :


Si l'on excepte le terrifiant Calvaire les films de Fabrice Du Welz ont une certaine tendance à faire montre d'une indéniable virtuosité formelle un tantinet gratuite pour mieux combler du vide : c'était le cas du très creux et très beau Vinyan, démonstration technique finalement assez indigente sur le plan scénaristique ; c'est aujourd'hui le cas de cet Alleluia à la plastique tout à fait intéressante mais principalement utile à étayer une certaine débâcle narrative. Pour mieux complaire à la mode très actuelle des histoires basées sur des faits réels le quatrième long métrage de Du Welz s'empare du sujet choc ayant inspiré Les Tueurs de la Lune de Miel, film culte du début des années 1970 plutôt quelconque et insignifiant en définitive. On attendait donc beaucoup de Alleluia, rêvant d'un officieux remake cinématographiquement stimulant et angoissant avec en prime un Laurent Lucas en pleine renaissance artistique...


En fin de compte ce nouveau film déçoit beaucoup, loin d'être raté à tous les niveaux mais ne tenant pas véritablement sur la longueur. A l'instar de Vinyan il équivaut surtout à du remplissage formel, ne racontant finalement pas grand-chose d'intéressant ou d'original. L'incarnation de la violence chère à Fabrice Du Welz depuis Calvaire ( délirant survival avec lequel Alleluia souffre d'une inévitable comparaison, aussi bien pour la présence de Laurent Lucas que pour l'état d'esprit et le genre abordés ) ne fonctionne que par intermittence, parfois trop appuyée dans ses effets techniques. Construit en quatre actes interchangeables et répétitifs Alleluia amène surtout le spectateur vers un redoutable sentiment d'indifférence à l'égard des atrocités représentées, desservi par une lumière terne et rébarbative, sous-exposée le plus souvent. Le réalisateur y reprend certains codes du giallo, en filmant la plupart du temps ses acteurs en gros plans avec la complicité du chef opérateur de Amer : il y a bien quelques éclats de mise en scène, notamment dans les vingt premières minutes... Mais Du Welz grille toutes ses cartouches à partir du deuxième acte et oublie d'alimenter son scénario d'éléments nouveaux ou au moins intrigants. Alleluia se laisse donc suivre sans peine mais sans véritable ion pour l'objet qu'il représente. A voir toutefois pour Laurent Lucas qui, décidément, semble pouvoir jouer dans de nombreux registres...


Texte écrit en février 2025 :


Dix ans après le choc sordide et fracassant de Calvaire et cinq ans avant le superbement évocateur Adoration Alleluia constitue le volet central de la trilogie ardennaise de Fabrice Du Welz. Drame charnel et puissamment incarné par l'excellent Laurent Lucas et la météorique Lola Duenas ledit film s'inspire donc librement de l'affaire des "tueurs de la lune de miel" ayant défrayé la chronique américaine au début des années 1950, fait divers retentissant déjà adapté par le confidentiel Leonard Kastle dans son film éponyme en 1969...


Pourtant - si l'argument narratif reprend la programmatique propre à la série de crimes perpétrés par ce duo de Landru pervers et glauque à bouche que veux-tu - Fabrice Du Welz y appose sa patte singulière et de fait inimitable, transformant la dimension quasiment documentaire du film originel en un véritable concert d'images et de sons éminemment cinématographique. Dans cette romance macabre mâtinée d'horreur, de soufre et d'humour dérangeant le réalisateur belge décline son récit en quatre tableaux portant aux nues la, les figures féminines, le tout magistralement photographié par le talentueux Manuel Dacosse que le cinéaste convoquera derechef pour Adoration, Inexorable et - jusqu'à tout récemment - le redoutablement ambitieux Maldoror. Magnifiant des décors au gré de lumières aux allures d'impressions murales saisissantes ledit chef opérateur signe avec Alleluia un travail d'éclairage particulièrement abouti, créant d'étranges alcôves tour à tour sous-exposées puis somptueusement granuleuses, superbement étayé par le 16mm gonflé astucieusement choisi par Du Welz.


Entre un usage fascinant du gros plan appuyant la froide expressivité mêlée de charme pervers de Laurent Lucas ( incarnant ici un Raymond Fernandez reconverti en vendeur de chaussures aussi délicat que psychopathe en diable ) et des extérieurs méticuleusement agencés par ses soins Fabrice du Welz offre entre autres choses quelques rôles magnifiques à sa pléiade d'actrices : retrouvant la méconnue Edith Le Merdy quinze années après son premier court métrage ( le très réussi Quand on est amoureux c'est merveilleux ) et offrant à la classieuse et grâcieuse Helena Noguerra un rôle de victime paroxystique le cinéaste pousse au maximum les curseurs d'une dramaturgie de haute volée, loin de la technicité un rien démonstrative du pourtant remarquable Calvaire.


Plus abouti sur le plan de l'interprétation que ses précédents longs métrages ( Calvaire de fait, mais également le spectaculaire Vinyan et le forcément bancal Colt 45...) Alleluia fait figure d'évocation morbide en forme de balade romantique complètement folle et résolument exaltée, magnifiée par la prestation inoubliable de Lola Duenas et la polyvalence confirmée de Laurent Lucas. En résulte une œuvre de Cinéma exsudant le désir et la ion de filmer de toutes ses délicieuses porosités. Un grand film au final, aussi maîtrisé qu'il s'avère fortement généreux et ionné. A voir absolument, encore et toujours !

8
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le 30 avr. 2015

Modifiée

le 26 févr. 2025

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stebbins

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