Alléluia par Gilles Da Costa
Alléluia est loin d'être le premier film adapté de la cavalcade meurtrière des "Lonely Hearts Killers" Raymond Fernandez (pas celui du Daily Mars, l'autre) et Martha Beck, ce fait divers ayant défrayé la chronique à la fin des années 40. En 1969 déjà, Leonard Kastle s'en inspire pour son très bon The Honeymoon Killers (d'ailleurs projeté durant cet Étrange Festival 2014).
Suivront une salve de films plus ou moins directement inspirés des faits, dont Deep Crimson, Lonely Hearts, ou plus récemment la mini-série Appropriate Adult, sont les derniers représentants. De manière détournée, on retrouve également le même genre d'intrigue dans la comédie noire Sightseers de l'anglais Ben Wheatley et dans une myriade d'autres productions ayant puisé dans le même vivier.
Autant dire que ce long signé Fabrice Du Welz s'inscrit dans une très longue traditions de films de couples tueurs bancals, et se devait donc d'opter pour une approche radicalement différente pour se distinguer du tout-venant. Et c'est chose faite avec ce thriller formellement racé, presque dépouillé, entièrement tourné dans un très beau super 16 granuleux, conférant au film une patte graphique brute remarquablement appropriée au sujet. Cherchant la "vérité documentaire" de cette histoire, le réalisateur colle au plus près de ses acteurs, traquant la moindre expression, la moindre émotion. Tour à tour drôle, terrifiant, émouvant, Alléluia est une expérience unique en son genre, tant elle assume puis dée l'absurdité de son sujet pour atteindre le noyau dur de ses personnages.
Ce qui étonne ici, c'est aussi la manière remarquable dont le scénario de Vincent Tavier s'abstient de juger les deux protagonistes principaux (Lola Dueñas et Laurent Lucas, parfaits), nous autorisant ainsi à plonger dans leurs psychés pour tenter, si ce n'est de comprendre, au moins de cerner leurs motivations. Ainsi, on sent dans la plume de Tavier et dans l’œil de Du Welz, une certaine comion envers ces handicapés des sentiments ayant trouvé l'amour à travers la mort. Un amour révoltant, barbare, mais un amour bien réel.
L'autre gros point fort d’Alléluia est sa générosité. Sa capacité à flirter avec l'excès, sans jamais tomber dans le ridicule, tout en le frôlant en permanence. age chanté façon comédie musicale, humour noir totalement déplacé, maniérisme dans le jeu, dans la mise en scène, Alléluia ose tout et parvient toujours à surprendre. Constamment sur la corde raide, il forge ainsi sa propre identité et échappe à toute catégorisation, tant il conjugue avec brio tons et ambiances radicalement opposées. Une véritable réussite.