“Put in another quarter and try again...”

Festival Sens Critique 9/16.


Petit objet curieux, coincé entre Gens de la pluie de Coppola, quelques années plus tôt) Scorsese poursuit à la suite de Bertha Boxcar le portrait de femme sur les voies de l’émancipation, non sans maladresse et fragilité (et l’on parle ici tant du personnage que du film qui lui est consacré).
Hellen Burstyn, percluse d’actor studio, se lance dans un panorama exhaustif de la mère courage un peu borderline, éperdue de compagnie mais devant composer avec un désir croissant d’autonomie et de liberté. Cela occasionne autant de séquences spontanées et authentiques (avec sa collègue serveuse, avec son fils lorsqu’elle quitte son rôle de mère pour jouer celui d’une sœur ou d’une amie) que de morceau de bravoure parfois pesants, au travail ou face aux hommes qui jalonnent son parcours.
Méprisants et ironiques face aux lieux qu’ils traversent et qu’ils sont pourtant obligés d’investir, Alice et son fils ont une posture ambivalente et finement analysée : toujours prêts à repartir, conscient que la sédentarisation officialiserait leur échec social et personnel, ils côtoient avec une indifférence feinte les villes et les gens.


En dépit de ces contraintes, Scorsese insuffle clairement sa patte au film : très fluide et mobile, tout en panoramiques et en travelling circulaires, il occasionne de belles séquences dans les intérieurs de motels minables. La noirceur d’une certaine Amérique déglinguée ne dépareille pas avec les mauvaises rues de l’opus précédent, que ce soit par le personnage d’Harvey Keitel ou celui d’une Jodie Foster de 11 ans, assez incroyable et qu’on peut considérer comme l’annonce de celui qu’elle campera l’année suivante dans Taxi Driver. Le regard sans concession porté sur l’enfance progressivement contaminée par la violence - verbale, notamment – et le cynisme est aussi d’une justesse assez touchante.


L’intérêt qu’on peut trouver au film est enfin le rapport qu’il établit au cinéma et au monde du spectacle alors qu’il prend pour décor un quotidien fondé sur la désillusion. Dès l’ouverture, citation colorée du Magicien d’Oz, le ton est donné. En ionné de cinéma, Scorsese explore le lien entre la mythologie d’un pays et les paumés qui l’habitent. On rêve de chanter, on apprend à embrasser en regardant des films, on se déguise en cowboy… Les lieux emblématiques de la culture américaine à savoir le ranch et le Diner, deviennent ainsi le théâtre de séquences structurantes, ce qui permettrait aux critiques les plus bienveillants de voir en elles, plutôt que des poncifs, des hommages à un genre. On pense notamment à cette réconciliation applaudie par les clients qui dénote fortement dans la filmographie du réalisateur.


Film assez composite et qui n’est pas toujours très pertinent dans son mélange des genres (le mélo assez falot, les scènes burlesques du Diner ratées à mon sens), Alice n’est plus ici reste suffisamment incarné et filmé avec talent pour qu’on puisse l’apprécier, mais reste clairement mineur dans la carrière de Scorsese, particulièrement sur cette période.

7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Portrait de femme

Créée

le 27 déc. 2013

Modifiée

le 27 déc. 2013

Critique lue 1.2K fois

31 j'aime

2 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

31
2

D'autres avis sur Alice n'est plus ici

“Put in another quarter and try again...”

Festival Sens Critique 9/16. Petit objet curieux, coincé entre Mean Streets et Taxi Driver, Alice n’est plus ici sent fort le film de commande qui intronise Scorsese dans le système d’un cinéma...

le 27 déc. 2013

31 j'aime

2

Marty doesn't make this anymore...

C'est en regardant un film comme celui-là qu'on se rend compte que Scorsese aujourd'hui, c'est du pipi de chat comparé à ce qu'il faisait dans les années 70. Même si j'apprécie et ire beaucoup le...

Par

le 20 sept. 2011

24 j'aime

1

Critique de Alice n'est plus ici par Northevil

Un très beau mélange de drame social, de conte, road movie et film burlesque, porté par une actrice éblouissante. De désillusions en désillusions (un job de chanteuse associée à la rencontre d’un...

Par

le 10 déc. 2013

14 j'aime

11

Du même critique

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord de...

le 6 déc. 2014

779 j'aime

107

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

727 j'aime

55

Her

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

627 j'aime

53