Disons-le tout de suite: Agora (qui n'est pas vraiment un peplum) est l'un des films le plus courageux jamais réalisés, peut-être carrément depuis Soldat Bleu (1970). Car c'est un film qui ose dire que toutes les religions se valent, pour la bonne raison qu'elles ne valent rien.
On a beaucoup glosé sur les défauts du film, comme quoi, il ne serait pas historiquement exact (mais quel film historique l'est? Vous voulez qu'on parle de Gladiator?). Peu importe. Nous savons trop peu de choses sur le personnage d'Hypatie pour en faire un récit complet et exact. Il fallait donc piocher ailleurs, et j'estime qu'Amenabar et Gil ont parfaitement choisi les épisodes qui composent cette vie apocryphe de l'une des plus anciennes philosophes connues.
Certes, il a des défauts: le personnage d'Asparius (le vieil esclave d'Hypatie) aurait gagné à être un peu plus développé; celui de Théon méritait que l'on évoque son é; un second rôle féminin aurait aussi permis de nuancer la position des femmes à cette époque. Enfin, j'estime que le film est trop court, et qu'il méritait une version de 3 heures. Et ça, c'est rare qu'on puisse le dire.
On a dit entre autres que sa fin fictive était édulcorée par rapport à celle relatée par les textes classiques, puisqu'en "réalité", elle a été traînée à terre jusqu'à ce que mort s'ensuive. Sa mort miséricordieuse dans le film a pour but de montrer que les chrétiens ne sont pas forcément ceux qui le prétendent, et que la pitié est très loin d'être le privilège des croyants.
Et c'est là qu'on a un début d'explication à l'insuccès immérité d'Agora. Alors qu'à sa sortie en salle, le film a réalisé un record historique en termes de bénéfice par salle, il n'a ensuite été distribué que dans 17 salles aux USA (source dans wikipedia). Comment expliquer une décision aussi absurde, autrement que par un sabordage? Et qui l'a orchestré? Trouvez la réponse vous-même, en vérifiant qui sont les actionnaires des principaux groupes de distribution cinéma US: Bigot, Bigot, Bigot, etc.
Le fait que des associations de défense religieuse (oui, cela existe, et elles ne relèvent pas toutes de l'opus dei!) aient attaqué (des défenseurs qui attaquent? cherchez l'erreur) le film et ses créateurs ne prouve qu'une seule chose: ces gens ne savent toujours pas pratiquer la tolérance qu'ils prêchent; et ils ne le sauront jamais.
L'assassinat d'Hypatie représente à mes yeux l'un des crimes les plus abjects de toute l'histoire de la religion chrétienne (son équivalent musulman étant celui de la poétesse Asma bin Marwan, égorgée pour avoir raillé Mahomet). Non seulement parce qu'Hypatie était une femme libre, mais parce qu'elle savait se servir de son intelligence, une notion qui a toujours fait toujours peur et continuera longtemps à le faire. Au XVe siècle encore, les Inquisiteurs chrétiens avaient décidé que l'intelligence faisait partie des critères de détection des sorcières. Il a fallu la Renaissance et bien des Révolutions sociales pour mettre fin à ce massacre; et qui oserait soutenir aujourd'hui que l'intelligence est entièrement libre de s'exprimer?
Agora réussit la prouesse d'être à la fois historiquement attachant et d'une actualité prégnante. Peu de films peuvent s'en targuer. Et j'espère qu'une version longue sortira un jour.
Quant à Rachel Weisz, elle est de plus en plus fine (ce qui est confirmé par son rôle éminemment subtil dans Youth de P. Sorrentino) et je parie (j'espère, je souhaite, je désire) que sa carrière sera longue et de plus en plus riche. Il fallait un peu plus que du courage pour accepter d'incarner ce rôle.