Après le très discret mais attachant premier essai à la réalisation que fut Quand tu auras fini de sauver le monde en 2022, Jesse Eisenberg poursuit sa carrière dans un projet assez semblable en termes d’ambition : cre le fertile sillon du cinéma indépendant américain, où l’on peut voir des stars confirmées se faire plaisir dans des pas de côtés intimistes et moins glamour.
A Real Pain recycle plusieurs projets d’Eisenberg, dont une pièce de théâtre écrite en 2013 et une nouvelle publiée dans un magazine. À l’origine, un voyage en Pologne sur les traces de la famille de son épouse, et la visite à la maison de sa propre tante qui le marquent profondément quant à l’impact de l’Holocauste sur sa propre destinée, avant le grand exil vers l’Amérique.
À l’inverse de The Brutalist, qui suit le parcours et l’intégration du juif européen dans le Nouveau Monde, A Real Pain retrace une sorte de pèlerinage de deux cousins, dans le dispositif saugrenu d’un tour opérateur proposant un voyage organisé autour des sites marquants de l’Holocauste en Pologne. La satire, jamais frontale, sur l’attitude des Américains soucieux de leur confort tout en se confrontant aux horreurs de l’Histoire, donne le ton d’un film sans cesse sur le fil, oscillant entre comédie, road trip feel good et traversée de champs de mines émotionnels.
Le formidable duo de cousins, incarné par Eisenberg lui-même et Kieran Culkin, ravi de pouvoir changer de registre après Succession, exploite avec finesse le duo improbable, où les comportements opposés génèrent autant de conflits qu’ils permettent à l’autre de mieux se connaître.
La tonalité, très versatile, épouse les sautes d’humeur de Benji, tantôt extatique, tantôt taciturne, et dont les excès définissent l’atmosphère d’un groupe séduit, puis embarrassé et exaspéré. Ce qu’en anglais, on nommera « a real pain ». Mais cette « vraie douleur » que cherche à définir le titre circule aussi d’une subjectivité à l’autre, et se révèle commune derrière une série de façades : celle de l’adulte responsable que serait devenu David, du trublion Benji, avant de prendre une ampleur convoitée mais redoutée à travers le voyage mémoriel dans une Pologne solaire, filmée à son avantage, mais qui ne peut ignorer les béances de son é.
Sans céder aux développements souvent attendus des trajectoires psychologiques du road trip dérivant vers le développement personnel, A Real Pain capte avec justesse la question de l’identité au regard de l’Histoire. Le voyage, s’il ne débouchera pas sur les grandes révélations attendues (très belle scène face à la maison natale, touchante parce que déceptive) ou le live changer convoité par l’air du temps, propose un rebours tout à fait salvateur. À l’écart du flot continu et d’un présent dénué d’identité, le temps pris pour se souvenir, écouter l’autre et laisser sourdre le mystère de sa propre personne.